Si offrir des fleurs spontanément était une preuve de romantisme alors, effectivement, il en était un… Le romantisme légendaire du jeune homme avait pourtant été mis à l’épreuve il y a quelque temps. La raison résidait dans un message envoyé par celle qui avait partagé sa vie ces huit dernières années. Il fallait admettre que de recevoir un message sur Facebook lui indiquant lâchement qu’elle le larguait avait tendance à laisser un goût amer en bouche. Cela étant, ce n’était pas le fait d’être largué qui l’ennuyait le plus dans cette affaire. Non… Qu’elle n’ait pas eu le courage de soutenir son regard pour formuler à voix haute le contenu de son message, c’était ça qui était embêtant.
« Je t’ai trompé, je suis désolée, je ne t’aime plus. »
Sacha en avait pleuré, crié, geint. Il n’avait plus été que l’ombre de lui-même. Il avait fallu du temps pour qu’enfin il se remette sur les rails et dépasse sa peine. Mais l’état de sa vie sentimentale n’avait, lui, pas bougé d’un iota. Rien que l’idée de rentrer dans un bar avec assurance pour draguer une fille en lui payant un verre lui paraissait impossible. Comment les gens dans les films réussissaient-ils cette prouesse !?
Après huit ans de relation, il n’y avait peut-être rien d’étonnant à ce qu’il pèche autant dans le domaine de la séduction… On l’en avait averti : tout comme une langue vivante, la drague était un art subtile qui se devait d’être pratiqué régulièrement sous peine d’être oublié. Mais draguer pour draguer n’avait rien d’un but en soi et Sacha en était pleinement conscient. Ce dont il était aussi particulièrement conscient c’est qu’il avait besoin d’être remis à flot en douceur sans qu’on attende quelque chose de lui en retour. Ce qui, quand on sortait d’une relation monogame de huit ans, avait des sacrés airs de défi.
Il fallut une soirée en compagnie d’une amie pour qu’il se décide enfin. Elle s’appelait Mona et était une amoureuse du romantisme. Elle connaissait son sujet sur le bout des doigts et quand elle vit l’air accablé de Sacha, il n’en fallut pas plus pour qu’elle se remonte les manches. Dans un premier temps, ils parlèrent à cœur ouvert de la situation transitoire du jeune homme : largué depuis quelques mois, il remontait enfin la pente mais tâtonnait encore.
Dans un deuxième temps, il abordèrent l’après.
Il avait été établi très vite qu’il serait incapable de draguer dans un bar ou en boîte. Draguer l’entourage amical et professionnel avait aussi été très vite rayé. Mona en était alors venue à proposer l’utilisation de plateformes de rencontre. Proposition qu’il avait balayé d’une main en rouspétant : il refusait l’idée d’être ce genre de désespéré se baladant sur le supermarché du sexe. Quatre verres et une bise d’au revoir à Mona plus tard, Sacha changeait d’avis.
L’application sur laquelle son dévolu se porta se nommait Fruitz. Elle avait cette particularité d’identifier les utilisateurs par leurs envies à l’instant T. Matérialisées par des fruits, les envies visaient à aider les utilisateurs dans la sélection de leurs prétendants. Raisin, cerise, pastèque et pêche permettaient de mettre une image dénuée de premier degré aux relations envisagées par les utilisateurs. L’un mettait l’accent sur le coup d’un soir quand un autre prenait plutôt le penchant opposé.
Application disponible sur Android et iOS. Créée en 2017, elle compte déjà plus de 8 000 téléchargements.
Combien de fois vous est-il arrivé de tomber sur une personne qui n’avait pas les mêmes intentions que vous en swipant à droite ?
Avec FRUITZ, filtrez par envie :
Chaque personne recherche des choses différentes sur une app de rencontre : une relation sérieuse, un verre de vin en terrasse, une rencontre éphémère pour ce soir, un fantasme jamais assouvi…
Il fallut peu de temps à Sacha pour se décider à prendre la pastèque : « pour des câlins récurrents sans pépins » était la citation la plus juste concernant son envie actuelle. L’utilisation de formules fruitées amusa Sacha : il lui était plus facile de dire qu’il cherchait une pastèque que d’admettre qu’il était surtout à la recherche d’un plan cul régulier.
Le sujet avait à peine été abordé avec Mona mais les appellations qui couvraient les relations amoureuses et émotionnelles avaient grandement évoluées ces dernières années. Relation exclusive, polyamour, plan cul, relation libre, libertinage… On dénombrait tellement de formes de relations qu’il en avait le vertige. Celle qui lui faisait de l’œil alliait un détachement amoureux à une envie physique. Mona lui en avait vanté les avantages avec tellement d’attention qu’il s’était pris à en avoir envie alors qu’il vidait sa deuxième pinte, une heure plus tôt. Choisir le plan cul réunissait tous les critères qu’il recherchait : une relation claire qui définissait qu’il n’était pas question d’une situation de couple mais juste d’une relation affectueusement sexuelle…
Pas de « Je t’aime ». Pas de sorties de couple. Pas. De. Tromperie. Le côté grand romantique de Sacha l’avait freiné un temps avant qu’il réalise qu’être romantique pouvait être un atout sans pour autant l’obliger à s’épancher auprès de sa future partenaire. Toujours est-il qu’il n’avait jamais eu ce type de relation et qu’il était prêt à tenter l’expérience, comme un grand.
Grisé par la nouveauté que représentait Fruitz (et par l’alcool ingurgité en grande quantité), Sacha s’affaira à remplir son profil puis à découvrir l’application. L’utilisation du swipe avait quelque chose de particulièrement satisfaisant et il ne savait plus bien s’il fallait en rendre l’alcool responsable… Se questionner sur le sujet ne fut pas long puisqu’il lança une première discussion avec une inconnue au sourire ravageur et aux envies de pastèque. Elle s’appelait Ksenia et il se demanda rapidement s’il s’agissait d’un pseudo ou d’un véritable prénom. Toujours est-il que les quelques mots qu’ils échangèrent mirent au clair tout ce qui devait l’être.
Selon l'IFOP
Selon l'IFOP
Elle habitait en banlieue parisienne quand il vivait en plein cœur de la Ville Lumière. Elle travaillait dans la protection des espèces menacées tandis qu’il commençait sa carrière d’avocat en droit des affaires. Elle venait d’un milieu social ouvrier alors qu’il s’était vu offrir un appartement par ses parents il y a peu.
Rien ne pouvait plus les éloigner l’un de l’autre. Si ce n’était quelques points communs liés à des groupes de musique qu’ils appréciaient tous les deux, tout les opposait. Mais là n’était pas le plus important. L’un comme l’autre n’avaient qu’une idée en tête : la recherche d’une relation qui ne demandait rien d’autre qu’une soirée de libre de temps en temps pour se livrer à une partie de jambes en l’air.
C’était tout de même fou de le constater : sans cette application de rencontre, Ksenia et lui n’auraient très certainement eu aucune chance de se rencontrer. Mona l’avait évoqué à demi-mot quelques heures plus tôt : on pouvait briser certaines barrières grâce à Internet.
Sacha ne pouvait qu’admirer la facilité avec laquelle la technologie semblait s’être appropriée le terrain de l’amour en ligne. Pour le romantique qu’il était, découvrir les relations au travers de ce nouveau prisme avait un petit goût de découverte. On pouvait aimer de mille manières et l’amour n’avait pas à être une notion unilatérale : Internet le prouvait.
Les sites et applications de rencontre ne montraient qu’un aperçu de ce qu’il était possible de faire pour trouver une personne avec qui partager un bout de vie. Sacha ne cherchait peut-être pas l’amour de sa vie en allant sur Fruitz. Il était par contre certain qu’avec Ksenia il venait de trouver quelqu’un avec qui partager un instant d’affection sans contrepartie. Et c’était tout ce qui pouvait compter à l’instant T.
Il n’avait pas fallu trois mois à Sacha pour se rendre compte que l’affection sans contrepartie qu’il avait tenté d’instaurer avec Ksenia ne ferait pas long feu. Tel l’incorrigible romantique qu’il avait toujours su être, les sentiments avaient pris le pas sur l’agréable et leur relation avait atteint son terme. Elle ne lui en avait pas tenu rigueur tant que ça. Trois mois, ça pouvait être long pour une relation dont ils avaient tu le nom de plan cul régulier. Mais il fallait l’admettre : la définition claire qu’ils avaient apporté à leur relation dès le premier jour ne lui convenait plus.
Le temps avait été grand en apprentissage : Sacha et sa maladie d’amour pouvaient dorénavant prendre le temps de découvrir les affres du romantisme pas après pas. Un temps, il se demanda si laisser les choses se faire pour trouver sa future moitié n’était pas risqué…
Chacune de ses précédentes relations avait été le fruit du hasard. Draguer n’était toujours pas un exercice dans lequel il excellait et plonger dans le grand bain avait un petit côté effrayant. Aussi, laissa-t-il les choses se faire.
Sa première relation post-rupture lui tomba dessus sans même qu’il n’ait eu le temps de s’en rendre compte.
Sacha avait une petite passion qui occupait ses soirées depuis qu’il était célibataire (ou à peu près) : le jeu vidéo. Son dévolu se portait depuis un an déjà sur un jeu en réseau et y revenir régulièrement lui permettait de discuter avec des joueurs des quatre coins du globe. Lier une amitié via les jeux vidéo lui avait offert la possibilité de faire la rencontre d’Inès au détour d’une partie.
Elle habitait à une heure de chez lui en voiture, ils avaient toujours des choses à se dire, elle avait une manière de parler qu’il appréciait énormément, et il n’avait pas fallu bien longtemps pour que le cœur de Sacha se mette à battre à cent à l’heure dès qu’il la voyait connectée. Il n’y avait pourtant eu aucune rencontre physique mais, d’une manière irrépressible, Sacha se sentait chavirer dès qu’il en venait à penser à elle. Son besoin de romantisme n’attendit pas longtemps pour pointer le bout de son nez et c’est lors d’une soirée à jouer avec elle qu’il se déclara.
Inès le fit attendre. Elle avait sa propre vie en dehors des jeux vidéo et il fallait qu’elle compose avec : Internet disposait de codes qui lui était propre et la vie réelle aussi. Deux univers indépendants allaient s’entrechoquer. Pour Inès, lui ouvrir son cœur était une chose qu’on ne prenait pas à la légère. Sacha patienta quelques jours et savoura l’instant où elle accepta sa déclaration et lui répondit réciproquement.
Pascaline Lorentz, sociologue spécialiste de la pratique vidéo-ludique, nous dit ceci :
« Les jeux vidéo sont tout simplement l’outil actuel pour résoudre des questions ancestrales telles que définir l’amour et les relations amoureuses. […] Depuis 2009-2010, la pratique vidéo-ludique est devenue acceptable et acceptée. Il n’y a pas l’approche drague qui peut exister sur des sites de rencontre. On joue, on s’amuse et après on apprend à se connaître. C’est finalement le cas dans la majorité des interactions sociales. Prenez l’exemple du travail. Vous n’y allez pas pour rencontrer votre âme sœur. Et pourtant, cela peut arriver et arrive assez souvent, en fait. »
Une année durant, Sacha apprécia leur vie de couple. Au travers du jeu vidéo, il avait trouvé une partenaire qui connaissait sa passion et la partageait. Jamais séduire quelqu’un ne lui avait paru aussi simple et Sacha se remercia d’avoir laissé le temps faire son œuvre pour lui trouver une petite-amie qu’il aimait aussi fort. Malgré tout, leur vie d’amoureux transis prit fin suite à un différend qui ne regardait qu’eux.
De nouveau, Sacha se retrouva célibataire. C’est avec une certaine maturité qu’il prit la nouvelle et se laissa porter vers un nouveau courant : il avait finalement compris qu’une relation pouvait venir de n’importe où. Il pouvait aller à sa rencontre en allant sur une app de dating tout autant qu’il pouvait tomber dessus par hasard.
Sa deuxième relation, il l’attendit un moment. Pas qu’il s’en soit réellement soucié, mais le travail, les sorties et ses plans sur Fruitz eurent un temps raison de son ambition à se stabiliser.
Si Sacha aimait les jeux vidéo, il aimait plus encore le rugby. Sur son temps libre, il pouvait passer un temps monstre sur des forums spécialisés, prêt à pronostiquer sur la prochaine victoire de son club fétiche. Une certaine Paloma avait eu l’occasion de prouver qu’elle était bien meilleure que lui à cet exercice. Sacha, blessé dans son égo de pronostiqueur, avait vu dans le pseudo de cette nouvelle interlocutrice, une compétition qu’il refusait de perdre.
Le temps aidant, leur rivalité se transforma en amitié. Sans s’être jamais rencontrés, ils échangèrent par divers canaux. La messagerie du forum, tout d’abord, ouvrit la porte à des discussions d’experts du pronostic. Puis, peu à peu, les experts oublièrent leur motivation première et la vie personnelle rentra en jeu. Dans le même temps, les comptes Twitter furent échangés et la messagerie instantanée s’installa pour de bon.
Sa deuxième relation, il l’attendit un moment. Pas qu’il s’en soit réellement soucié, mais le travail, les sorties et ses plans sur Fruitz eurent un temps raison de son ambition à se stabiliser.
Si Sacha aimait les jeux vidéo, il aimait plus encore le rugby. Sur son temps libre, il pouvait passer un temps monstre sur des forums spécialisés, prêt à pronostiquer sur la prochaine victoire de son club fétiche. Une certaine Paloma avait eu l’occasion de prouver qu’elle était bien meilleure que lui à cet exercice. Sacha, blessé dans son égo de pronostiqueur, avait vu dans le pseudo de cette nouvelle interlocutrice, une compétition qu’il refusait de perdre.
Le temps aidant, leur rivalité se transforma en amitié. Sans s’être jamais rencontrés, ils échangèrent par divers canaux. La messagerie du forum, tout d’abord, ouvrit la porte à des discussions d’experts du pronostic. Puis, peu à peu, les experts oublièrent leur motivation première et la vie personnelle rentra en jeu. Dans le même temps, les comptes Twitter furent échangés et la messagerie instantanée s’installa pour de bon.
Avec Paloma, Sacha comprit quelque chose qui lui avait effleuré l’esprit sans qu’il n’y accorde plus d’importance que nécessaire par le passé.
Internet était un vecteur de rencontres. Pas au sens classique du terme, évidemment. Il n’avait encore jamais eu l’occasion de savoir à quoi ressemblait Paloma, si ce n’est via les quelques photos qu’elle postait sur Twitter.
Non.
Internet était un vecteur de rencontres inédites qui le sortait des habitudes qu’il établissait depuis toujours. Des mois passés à dialoguer avec elle stimulait l’envie qu’il avait de la rencontrer en chair et en os et, mieux encore, l’envie qu’il avait de tomber amoureux d’elle. Parce qu’il n’y avait qu’un pas. Sa relation avec Inès lui avait appris qu’aimer était aisé mais qu’Internet pouvait être un frein assez dense. Il fallait prendre en compte la distance, le caractère réel de la personne, ses craintes, son entourage, sa vie… Il y avait un millier de paramètres à prendre en compte et se hâter comme il l’avait déjà fait ne pouvait rien lui apporter de bon.
Aussi, Sacha prit-il son mal en patience.
Une première fois, ils se rencontrèrent et se jaugèrent. Jamais Sacha n’eut autant de mal à calmer le cœur qui battait dans sa poitrine. Paloma était identique à ce qu’il avait imaginé d’elle et la manière dont elle lui parlait, le regardait, lui souriait… le faisait chavirer. Sacha en tomba irrémédiablement amoureux mais garda l’information pour lui.
Une autre fois, ils se virent à l’occasion d’un match de leur club adoré et Sacha ne put s’empêcher de superposer la femme qu’il connaissait à celle qui criait dans le stade. Il y avait chez elle tout ce qu’il avait toujours recherché, il en était persuadé. Son romantisme maladif était peut-être en train de lui monter à la tête mais les faits étaient là : il l’aimait. La barrière d’Internet se craquela encore plus avec le temps et leurs entrevues se firent plus récurrentes. Ils passèrent de Twitter aux SMS puis aux appels téléphoniques.
Mais toujours, Sacha, hésita. Comme l’avait fait Inès, il chercha l’assurance dans les messages de Paloma afin de confirmer l’hypothèse de leur histoire d’amour. Elle semblait réceptive à ses mots et à ses gestes, fallait-il encore qu’il attende ?
Sur Fruitz, les choses avaient toujours été claires : attendre n’était pas envisageable, tout allait vite. Avec Inès, ça avait été tout le contraire : le temps avait permis à leur idylle de naître.
Aussi, Sacha remonta-t-il ses manches en prenant sur lui. Il était temps de mettre au point sa situation pour calmer son cœur battant, ses mains moites et sa gorge serrée. D’un geste précis, il attrapa son téléphone et composa le numéro de Paloma.
À la première tonalité, elle décrocha.
Lorsqu’on s’inscrit sur un site de rencontre, nous sommes submergés de visages très différents que nous swipons à gauche pour les faire tomber dans les limbes de la rencontre algorithmique ou à droite pour, peut-être, démarrer une discussion si le swipe est réciproque. Ce qui prête à Tinder sa dimension si addictive est probablement le fait que l’on peut balayer à droite ou à gauche à l’infini. L’utilisateur croule sous les décisions, même si l’action en elle-même reste binaire, les profils se multiplient de manière infinie.
Sur Tinder, les critères de swipe sont éminemment basés sur le physique dès lors qu’un profil est représenté par une photo occupant tout l’écran.
Au delà d’un désir instinctif, et par nature inexplicable, que l’on peut ressentir devant une photo, de petits détails peuvent nous pousser à changer de direction et finalement choisir le balayement à gauche. Des lunettes de soleil qui ne sont pas à notre goût, un t-shirt un peu trop débraillé, il n’est pas suffisamment grand, elle n’a pas une peau très lisse… sont autant de détails qui peuvent influer sur la décision finale.
Nos critères se révèlent être comme une longue liste de cases à cocher sous peine de balayer vers le néant.
Lors de notre interview de Brenda Boukris, la coach en séduction nous expliquait que sur les sites de rencontres, nous communiquons uniquement par le biais de nos photos, nous sommes privés des gestes, du regard, de l’attitude et de tout ce qui peut faire la différence lorsqu’on rencontre quelqu’un dans la vie. Privé du langage du corps, il n’est donc pas étonnant de constater que nos critères augmentent lorsqu’il s’agit de rencontres en ligne.
Il apparaît que sur les sites de rencontres, nous cherchons la rencontre parfaite : quelqu’un avec de l’humour mais pas trop, qui soit un peu fêtard mais pas trop… Mais devant l’embarras du choix, ne sommes-nous pas paralysés par cette multitude de visages et de rencontres potentielles ?
Barry Schwartz, psychologue américain, a théorisé ce que l’on appelle le paradoxe du choix. On associe souvent la notion de liberté à notre capacité à pouvoir faire des choix. Le fait que nous soyons seuls maîtres de nos décisions nous donnent cette sensation grisante d’être libres et « pour maximiser le bien-être des citoyens dans les sociétés occidentales, il faut maximiser leur liberté individuelle » et pour maximiser la liberté, il faut maximiser le choix mais devant un nombre de choix trop importants, la décision devient difficile, c’est là que réside le paradoxe.
Barry Schwartz pousse ce paradoxe encore plus loin car non seulement la prise de décision s’avère difficile devant un trop grand nombre de choix mais si nous arrivons à surmonter cette paralysie, « nous sommes finalement plus insatisfaits que si nous avions moins de choix car plus il y a de choix, plus il est facile de regretter les aspects décevants du choix ». Sur les applications de rencontres, les possibilités quasi-illimitées provoquent un sentiment de frustration et d’insatisfaction chronique devant la multitude de profils proposés.
Nous pouvons également soulever un biais cognitif qui influence nos décisions sur les plateformes de rencontres. Lorsque le profil d’une personne très séduisante apparaît, notre liste de critères vole en éclat. L’effet de halo affecte notre perception, le fait qu’on trouve un profil particulièrement attirant influence notre jugement et annulera tous les critères que cette personne ne remplirait pas.
En somme, sur les sites de rencontres, l’attrait du possible et le pouvoir de l’imagination se développent puisque, avant même d’échanger les premiers messages, nous commençons déjà à construire une image de l’autre. La mise entre parenthèses de la réalité n’est pas un obstacle, car le dating en ligne repose en partie sur la complicité de l’utilisateur à l’égard de ses propres illusions et cette complaisance conduit parfois à se leurrer sur la nature de l’objet convoité.
Les applications de dating occupent de plus en plus de place dans nos vies. De nombreuses études sociologiques montrent que l’on va se rencontrer de plus en plus par ce biais-là. Ces applications ont réussi à créer un mécanisme addictif.
« De même qu’un joueur invétéré recommence à jouer dès que la partie s’achève, l’adepte des sites sera tenté de chercher en permanence de nouvelles interactions avec de nouveaux partenaires. Si l’abondance des possibles présente un côté rassurant, elle peut également faire s’engager dans une quête indéfinie, interminable, et plonger l’internaute dans une “inquiétude” au sens classique du terme. C’est-à-dire une quête non seulement sans repos mais également perpétuellement incertaine de son objet. » Marc Parmentier, Philosophie des sites de rencontres.
Selon l'IFOP
Selon l'IFOP
Au-delà de ce sentiment d’addiction et de perpétuelle insatisfaction lié à la multitude de profils proposés, l’insatisfaction et la frustration peuvent se ressentir également dans l’image virtuelle que nous véhiculons. Sur Internet, nous allons élaborer une personnalité fictive qui collera au plus proche de ce que nous aspirons à être et surtout, nous nous appliquerons à mettre en avant ce qui fera de nous quelqu’un de cool aux yeux de l’autre. Comme l’explique Marc Parmentier, « l’identité numérique doit faire l’objet d’une construction (voire d’un “bricolage”) tenant compte de l’effet de séduction à exercer sur l’autre. Le pseudo et le profil doivent être une vitrine qui attire, tout en reflétant ce qu’il y a en magasin. Remplir le formulaire d’inscription à un site de rencontre, c’est en passer par la grille des standards sociaux, négocier avec les normes sociales en vigueur dans le marché de la séduction ».
Si nous avons tendance à idéaliser l’autre à travers les sites de rencontre, c’est notre image qui est également idéalisée afin d’apprécier ce que nous voyons dans ce miroir virtuel.
Brenda Boukris, coach en séduction, nous racontait avoir parmi ses clients beaucoup de femmes inscrites sur des plateformes de dating non pas pour faire des rencontres mais pour redorer leur image et prendre un boost d’ego. En effet, chaque like ou match reçu semble agir comme un shot de dopamine directement injecté dans notre confiance en nous. La réciproque est vraie : la moindre personne qui se mettrait à nous ghoster ou un match refusé sera perçu comme un rejet violent et entachera sérieusement notre confiance en nous.
Marc Parmentier dit dans Philosophie des sites de rencontre : « Les sites de rencontre constituent donc un terrain d’expérimentation privilégié pour l’observation des mécanismes de construction sociale de l’identité, en particulier de la “construction de soi en miroir”. Et le fait est que socialement, nous adoptons souvent le rôle que nous pensons qu’autrui aimerait nous voir jouer. » Les applications de rencontre se concentrent sur l’instantanéité de la rencontre pour répondre à nos envies pulsionnelles mais quid de nos besoins affectifs ?
Se faire ghoster, c’est quoi ?
Quand on dit « tu t’es fait ghoster », on parle d’un fantôme qui va soudainement disparaître de notre vie en ne répondant plus ni aux appels, ni aux messages. Cette technique est régulièrement utilisée lorsqu’on ne trouve pas le courage de dire avec franchise que l’on souhaite couper les ponts, on qu’on veut disparaître sans faire de bruit en laissant l’autre face à un silence de pierre. Cette expression fait particulièrement référence au fait de disparaître des radars d’Internet en laissant les messages reçus sans réponse.
Trouver l’amour, un plan cul régulier, quelqu’un qui partage une croyance, un centre d’intérêt, une religion… Avec la démocratisation des sites de rencontre généralistes « grand public » et l’augmentation des utilisateurs présents sur ces plateformes, il est devenu de plus en plus compliqué de trouver la personne qui partage ce critère qui nous est si essentiel. Les entrepreneurs en herbe y ont vu là une occasion en or pour segmenter le marché du dating avec des sites de rencontre ciblés pour une communauté précise. Les sites de rencontre de niche créent des enclaves dans lesquelles les minorités ou les groupes sectaires se retrouvent.
Mektoube.fr pour des rencontres entre musulmans, Gleeden pour des rencontres extra-conjugales et Geekmemore pour des rencontres entre geeks sont autant d’exemples de plateformes de dating qui ont fait le pari payant de se concentrer sur une communauté.
Pour Fred Tourrou, Product Designer freelance, qui a réalisé notamment le design de l’application Once, le futur des applications de rencontre poussera encore plus loin le concept de segmentation par communauté. Pour lui, la popularité de Tinder et sa mécanique retranscrivent parfaitement notre manière de consommer qui est devenu plus rapide et plus opulente : « Ça va très vite, comme nos achats, comme si on avait peur de manquer. Nous sommes une génération qui n’a jamais manqué de rien et pourtant qui a peur de manquer. »
Cependant, nous observons une tendance inverse, un retour à l’authentique et une recherche d’éthique dans nos manières de consommer qui influent indéniablement sur les produits et services qui arrivent sur le marché. Parallèlement, les différentes sexualités se démocratisent et beaucoup assument dorénavant leur orientation sexuelle : homosexuels, polyamoureux, pansexuels, échangistes, asexuels, adeptes des relations libres trouvent difficilement leur bonheur sur des plateformes de rencontre généralistes.
Pour Fred Tourrou, nous allons observer dans les années à venir « une multiplication des applications de rencontre par communauté, ça ne peut pas être autrement ».
La segmentation des applications de rencontre par communautés ne date pourtant pas d’hier. Les couples hétérosexuels rencontrent majoritairement leur partenaire par le biais d’amis en commun, sur les bancs de l’université ou encore au travail. Ils ont mis plus de temps que les homosexuels à se rencontrer en ligne. Il faut dire que la communauté LGBT+ a pendant trop longtemps vécu dans l’ombre à cause des préjugés véhiculés par la société française.
Ce n’était (et ce n’est pas encore) chose aisée d’assumer sa sexualité lorsqu’elle ne correspondait pas à la norme sociétale qui voudrait qu’un homme et une femme forment le socle familial. De nombreux homosexuels cachent leur orientation sexuelle à leur famille, à leurs amis et à leurs collègues par peur du jugement. Derrière un écran, tout semble plus simple lorsque des plateformes de rencontre existent avec uniquement des personnes qui nous ressemblent. Nous nous y sentons, de facto, plus en sécurité.
Dès l’apparition des sites de rencontre au début des années 2000, les homosexuels ont très vite eu droit à leur plateforme de rencontre spécialisée. PlanetRomeo.com, premier du genre, a été créé en 2002, un an après Meetic, et a très vite comptabilisé de nombreux utilisateurs. Si aujourd’hui la plateforme PlanetRomeo a été quelque peu désertée, c’est l’application Grindr qui a pris le relais, comptabilisant aujourd’hui près de 300 000 utilisateurs à travers la France.
Le développement des sites de rencontre spécialisés LGBT+ a contribué à étendre le cercle de sociabilité au sein de cette communauté, si bien qu’en 2010, 70% des couples homosexuels se rencontrent par le biais d’une plateforme de rencontre.
Nous avons réalisé une étude quantitative avec un panel de 200 répondants. Nous les avons interrogés sur leur partenaire idéal. 60,9% d’entre eux ont répondu rechercher quelqu’un qui leur ressemble et qui partage leurs centres d’intérêts contre 39,1% qui préfèrent quelqu’un de différent et qui leur fera découvrir de nouvelles choses. Nous avons fait réagir plusieurs experts du milieu du dating sur ces résultats pour essayer de comprendre pourquoi nous recherchons si peu la différence. Pour Eric Chollet, Product Owner chez Affiny, le fait que l’on recherche quelqu’un qui nous ressemble n’a rien de bien étonnant.
La compréhension de l’autre se fait plus facilement lorsque nous partageons des centres d’intérêt similaires, nous retrouvons chez l’autre ce que nous connaissons déjà. En matière de relations, nous recherchons de la confiance, du partage et de la stabilité mais ne pouvons-nous pas retrouver ces critères chez une personne qui ne nous ressemble pas ?
Brenda Boukris, coach en séduction, conseille à ses clients de chercher la différence. Pour elle, « la raison pour laquelle l’alchimie va se produire dans un couple, c’est parce qu’on va se rejoindre sur les valeurs qu’on partage ». Le socle d’un couple prend racine autour de différentes valeurs partagées et les centres d’intérêt forment une myriade de branches qui en émanent.
Dans un couple, nous nous complétons. Quand l’un tombe, l’autre sera là pour le relever, c’est comme ça qu’on surmonte les obstacles et qu’une relation amoureuse résiste à l’usure du temps. En réalité, nous sommes plus complémentaires qu’identiques dans nos histoires d’amour. Ne serait-ce pas la limite des plateformes de rencontre ?
Sur la majorité des plateformes de rencontre, l’algorithme va se baser sur nos goûts pour nous proposer des personnes qui ont répondu avoir les mêmes goûts. Eric Chollet nous explique que « [son] constat chez Affiny, c’est que ce n’est pas forcément les personnes qui ont les mêmes goûts que toi et qui sont similaires à toi avec lesquelles tu vas forcément vivre un grande histoire d’amour et avec qui tu vas être compatible ». Le slogan d‘Affiny, « Trouvez votre moitié, pas votre double », témoigne de cette logique.
Comme le disait Sacha, « Internet est un vecteur de rencontres inédites ». Internet a ouvert le champs des possibles et a brisé les frontières de nos rencontres. Depuis l’apparition d’Internet et son accès illimité à portée de doigt, il nous est beaucoup plus aisé de rencontrer des personnes d’horizons différents, et c’est probablement là que réside la plus grande richesse des services de dating en ligne. Tous ces inconnus, qui avaient une infime probabilité de croiser notre chemin, se retrouvent propulsés en plein milieu de notre route.
Les limites, autrefois imposées par nos cercles sociaux, volent en éclat, ce qui provoque aussi bien une grande exaltation qu’une paralysie due à l’abondance des possibles. Les chercheurs Josue Ortega et Philipp Hergovich ont établi une corrélation entre l’apparition des sites de rencontre et l’augmentation des mariages mixtes dans leur étude Social integration via online dating.
Pour François, 60 ans, il est évident que les applications de rencontre ont changé la donne sur les personnes que nous allons rencontrer par rapport à l’époque de ses 20 ans. Nous allons rencontrer des cultures différentes. « Imaginons que je rencontre une Russe. Je vais découvrir une nouvelle culture, nous allons partir ensemble d’une base zéro puisque nous n’aurons pas connu les mêmes choses, alors que deux personnes qui ont grandi dans le même pays mais qui n’ont pas connu la même éducation, c’est beaucoup plus difficile », nous a confié François.
Si les services de dating en ligne ont créé de belles histoires d’amour qui n’auraient peut-être jamais eu lieu sinon, une barrière semble difficile à briser, celle de la classe sociale. Les couples partagent des valeurs communes et au sein du couple, chaque entité pourra avoir ses propres centres d’intérêt, des croyances religieuses ou politiques distinctes et des origines différentes mais la classe sociale restera pourtant la même.
Notre éducation, forcément ancrée dans un milieu social, forge des habitudes de langage, influe sur notre niveau d’études, nous inculque une certaine valeur de l’argent et, par facilité, nous allons préférer quelqu’un qui partage notre mode de vie pour construire une relation pérenne. L’amour semble loin d’être aveugle aux différences sociales qui incombent à chacun.
Le phénomène sociologique appelé homogamie sociale montre que nous choisissons, plus souvent que le hasard de la rencontre le supposerait, un partenaire du même niveau de diplôme, de la même classe sociale, ou encore de la même origine sociale que nous. Selon le Centre d’observation de la société, en 2011, 78 % des ouvriers vivaient avec une ouvrière ou une employée, contre 3 % avec une femme cadre supérieure. Si ce phénomène s’estompe légèrement dans le temps ces dernières années, grâce notamment à une plus grande ouverture d’esprit de la société française, chez les plus diplômés l’homogamie est restée constante. Les élites restent en cercle fermé, elles se marient toujours autant entre elles.
Le fait de chercher, plus ou moins inconsciemment, quelqu’un qui partage notre statut social, n’a rien d’étonnant au regard du fait que nous cherchons quelqu’un qui partagera des valeurs communes. En amour, nous allons créer une zone rassurante où les partenaires se sentiront rassurés et en sécurité.
Il existe une grande variété de plateformes de rencontre en ligne. Certaines sont axées sur la recherche active d’une personne avec qui partager sa vie quand d’autres prennent le pendant inverse : rencontrer quelqu’un pour partager un moment qui n’engage à rien.
En France, quand on oppose la relation sérieuse à la relation éphémère, deux grands noms reviennent en tête : Meetic, acteur français implanté de longue date ; et Tinder : acteur apparu dans le paysage français il n’y a pas si longtemps que ça.
La croyance populaire voudrait que ces deux plateformes soient assez opposées dans leur manière de créer des relations entre les gens. Afin de valider ou d’infirmer cette croyance, nous avons interrogé notre entourage sur ce qu’ils imaginent de ces deux plateformes.
Une certaine idée persiste lorsqu’on évoque l’image que Meetic véhicule dans les esprits. À travers la petite interrogation que nous avons adressée à nos enquêtés, la vision qui ressort pourrait se tracer sous ces quelques contours : Meetic est considéré comme un site Internet adressé à un public mature à la recherche d’une relation faite pour durer. C’est, après tout, sur ce terrain particulier que tend à se positionner Meetic depuis sa création en 2001.
Au travers de notre questionnaire puis de notre petit micro-trottoir, le terme de « plan d’un soir » s’est trouvé cité un nombre de fois incalculable quand on a demandé ce que pouvait évoquer l’application. Tinder joue dans un registre opposé à celui de Meetic, à savoir celui des relations rapides. L’opinion majoritaire semble s’accorder sur le fait qu’avec Tinder les choses vont vite. En cause, l’inscription rapide, la fonction de swipe et la communication sur laquelle joue l’entreprise.
Nos téléphones portables occupent une place primordiale dans nos vies tant et si bien que nous avons tendance à oublier comment deux personnes qui se plaisent communiquaient avant. Tous les couples que nous avons interviewés nous ont répondu qu’ils communiquaient pendant la journée par messages instantanés avec leur moitié, quand bien même ils se retrouvaient le soir dans le foyer commun.
Avant la démocratisation du téléphone portable, pour contacter la personne qui nous plaisait, peu de moyens électroniques s’offraient à nous. François, 60 ans, se souvient : « Si on voulait me joindre, il fallait appeler sur le fixe de la maison et c’est mes parents qui répondaient. Ça me mettait mal à l’aise lorsque ma mère me disait : “Ah dis donc, c’est encore machine qui rappelle”. On ne pouvait pas se cacher. »
Les millennials possèdent aujourd’hui une nouvelle sphère d’intimité matérialisée par leur téléphone portable, sphère à laquelle les parents n’ont certainement pas accès. Si cela a apporté plus de liberté et d’opportunités pour les dragueurs à l’aise par écrans interposés, cela a aussi rajouté un maillon de communication devenu indispensable. Aujourd’hui, le schéma classique de communication avec quelqu’un qui nous plait sera d’abord de briser la glace virtuellement en l’ajoutant sur un réseau social pour lui donner accès à une sphère d’intimité, puis de lui parler par message privé avant de lui proposer un rendez-vous physique. Dorénavant, on s’apprivoise et se cherche par message virtuel, se voir dans le réel c’est déjà s’avouer qu’on se plaît.
Les nouvelles technologies auront été les catalyseurs d’un nouveau type de communication entre les gens. Au cours de nos recherches, nous avons eu l’occasion de demander à certains enquêtés de quelle manière ils avaient été amené à rencontrer leur moitié et à communiquer avec elle.
Certains nous ont appris s’être rencontrés par des canaux classiques : le biais d’amis en commun, la rencontre inopinée en vacances, les soirées… D’autres ont plutôt indiqué avoir profité des possibilités d’Internet : les réseaux sociaux ou les sites de rencontre. Dans ces deux cas, une tendance se dessine quand on questionne les 18-35 ans sur la manière qu’ils ont de communiquer avec la personne qui leur plaît : Internet est le pilier sur lequel ils s’appuient pour engager la conversation. Plus précisément, le smartphone occupe une place centrale de par les options qu’il propose : réseau social, messagerie instantanée et partage sont autant d’outils qu’utilisent les jeunes pour dialoguer et se séduire.
Ces dernières années, un engouement fou pour les réseaux sociaux s’est développé. Trouver quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler devient chose impossible. Renouer avec de vieux amis, organiser un événement ou encore communiquer par messages privés deviennent des actions courantes pour une majorité de Français.
Quand on demande à F.G., 27 ans, par quel canal il a commencé à communiquer en ligne avec celle qui deviendra par la suite sa petite amie, ce dernier nous apprend qu’il a lancé leur première discussion via Instagram après avoir été mis en relation par une amie commune. Instagram, application de partage de photos et de vidéos, n’est pourtant pas tant destiné à créer des liens entre les gens ou à les aider dans leur recherche de l’amour. La messagerie privée que propose l’application se trouve alors détournée de son usage premier et permet aux personnes qui se plaisent de dialoguer avec l’ambition de flirter et de se découvrir.
Pascal Couderc, psychanalyste et psychologue clinicien, explique cette facilité qu’ont certaines personnes à trouver leur moitié grâce à Internet :
F.G. et la tranche d’âge des 18-35 ans, plus à l’aise avec les nouvelles technologies que leurs aînés, valident donc l’idée évoquée par Pascal Couderc selon laquelle les gens qui se plaisent peuvent être amenés à communiquer via les réseaux sociaux. On peut aussi en tirer l’affirmation que les jeunes discutent plus facilement par messagerie instantanée de par leur aisance d’utilisation de ces dernières.
Messenger, Twitter, Instagram, Snapchat, WhatsApp… sont autant de systèmes de messagerie instantanée sur smartphone qu’il est possible d’utiliser pour flirter avec l’autre. Ils sont utilisés pour communiquer vite et efficacement et ce sont quelques petits éléments propres à une plateforme qui nous font préférer un canal plus qu’un autre.
Sur Internet, on définit plusieurs types de plateformes mais c’est bel et bien les réseaux sociaux qui tirent parti de l’envie de partage et de communauté que l’humain recherche. Facebook, par exemple, permet de partager avec son entourage ses pensées, ses souvenirs ou encore ses passions. L’occasion devient alors rêvée d’entrer en contact avec l’être désiré. Il n’en faut que peu pour qu’un prétexte aussi simple qu’une photo postée permette de discuter pendant des heures. D’un commentaire écrit sur la photo qu’untel vient de poster, on en vient à digresser vers des propos plus intimes par message privé.
Chaque réseau social, chaque système de messagerie, chaque espace de commentaires devient un lieu propice à la discussion. Ne manque que l’élan d’un espoir romantique pour qu’enfin l’un des deux partis se lance pour dialoguer et prouver à l’autre qu’il ou elle lui plait. Les éléments déclencheurs se développent alors sur tous les canaux possibles.
Sur Instagram ou Snapchat, une story peut être la poussée dans le dos qui invite à écrire un message privé. Mais la malice de ce système peut être multiple. L’interprétation d’une story postée peut porter plusieurs sens ; l’un pensera : « J’aime ce que raconte cette story, l’occasion est propice à ce que je lui envoie un message. » ; quand l’autre aura plutôt en tête : « Poster cette story c’est le meilleur moyen pour moi d’être contacté.e par cette personne qui me plait. » On ne peut nier que ce truchement crée une mécanique de manipulation inconsciente dans le but d’appâter l’autre. Mais contacter l’autre et faire le premier pas demande un effort qu’il n’est pas évident de franchir quand on est l’un des concernés, pourquoi devrions-nous nous priver de cette facilité ?
Kézako qu’une Story ?
Une Story est ni plus ni moins qu’une publication d’une photo ou d’une vidéo qui fait généralement moins de 30 secondes ; votre Story peut également composée d’une suite de photos ou de vidéos, un petit album en quelques sortes, que vous pouvez facilement compléter avec des stickers, des filtres ou des masques. La publication d’une Story ne dure qu’un temps et s’efface au bout de 24h. Ce qui peut donner des contenus plus attrayants, on peut se lâcher, après tout, rien ne sera conservé !
Pour les jeunes, comprendre et se faire comprendre de l’autre via les canaux proposés par Internet est une gymnastique acquise. Les emojis, petits idéogrammes à l’apparence souvent mignonne, sont entrés dans le langage courant de cette partie de la population. Véritables éléments de contexte, ils permettent de donner du ton aux messages envoyés. Avec ces éléments, nous évitons les quiproquos et les mésententes sans s’épancher en fioritures.
De même, une photo envoyée par message privé peut avoir mille significations qu’il faut savoir décrypter. La nouvelle mode que devient le meme complique encore plus la tâche. Comment peut-on clairement identifier le message derrière une phrase recouverte d’un second degré obscur ?
Qu’est-ce qu’un Meme ?
« Le meme vient de la culture internet, majoritairement américaine, et désigne un élément de culture repris en masse, partagé, imité, détourné et qui va être transmis d’un individu à un autre. Un mème c’est par exemple tous ces chats bidons que l’on voit apparaître aux quatre coins de la toile. »
Les memes, les emojis ou encore les gifs sont pourtant des codes picturaux qu’il faut appréhender avec un certain recul. Codes générationnels utilisés par le jeune public, voire les jeunes adultes, ils offrent un nouveau moyen d’expression qu’il faut analyser encore plus quand l’amour rentre dans la danse. Rien n’est plus difficile à comprendre qu’un message qui pourrait tout aussi bien être anodin que crucial pour celui qui l’envoie.
Accompagnant ces codes picturaux, les like reactions de Facebook, les likes d’Instagram ou encore les fav’ de Twitter, qu’on qualifiera de signaux d’intérêt, servent un même dessein qu’on ne comprend qu’à force de communiquer avec l’autre. Grande invitation à la discussion, ces manifestations d’intérêt permettent à ceux qui se plaisent de communiquer de manière tacite.
Car engager la conversation avec la personne qui nous plaît c’est aussi se lancer dans l’interprétation des signaux que l’autre nous envoie : « La love reaction qu’il a posté signifie-t-elle qu’il a apprécié le message que j’ai écris, ou plutôt la personne qui l’a écrit ? ». Décoder ces signaux nébuleux demande une proximité qui ne s’acquiert qu’avec le temps. Ce temps qu’on alloue à parler en face-à-face ou par messages devient alors un exercice fondamental pour ne pas se fourvoyer sur les signaux envoyés.
Au travers de toutes ces plateformes, Internet démultiplie les possibilités de dialogue entre les personnes qui se plaisent. WhatsApp plaira à ceux qui aiment discuter et se répondre sur plusieurs sujets en même temps. Snapchat permettra d’envoyer des photos ou des courtes vidéos dans l’intimité. Facebook proposera une multitude d’éléments déclencheurs dès l’instant où les deux partis se seront ajoutés dans leur liste d’amis… Internet offre de nouveaux codes sociaux à travers différentes plateformes et c’est aux couples qui veulent se former de porter leur dévolu sur l’une ou plusieurs d’entre elles suivant leurs envies.
Lors d’une entrevue, Richard, du haut de ses 24 ans, évoque avec nous l’importance qu’aura eu Internet dans l’une de ses précédentes relations, quelques années plus tôt.
Rencontrée sur un jeu vidéo en ligne, Richard communique régulièrement avec une jeune fille pendant trois ans via Teamspeak, un service de communication audio, sans jamais l’avoir rencontrée. Il faut attendre qu’ils soient tous les deux célibataires pour que la teneur de leurs échanges se modifie. Exit les discussions neutres ou amicales, leurs célibats respectifs leur permettent d’en venir à évoquer les notions de sentiments et d’amour. Les échanges se font plus réguliers à mesure que les discussions deviennent plus intimes.
Teamspeak est alors relégué au second plan pour permettre un dialogue plus simple avec Skype et les SMS. Habitués tous les deux à communiquer le soir, ils se prennent à dialoguer de manière effrénée, discutant encore et encore avec l’envie d’en apprendre toujours plus sur l’autre. Rebondir d’un sujet à un autre devient chose aisée tant le besoin de se parler pour se parler est présent. La frénésie de leur discussion débouche finalement sur une entrevue et sur une relation qu’on laissera à leur discrétion.
Richard révèle à travers son histoire quelque chose d’intéressant : il y a eu un changement de canal entre l’avant et le pendant. L’information pourrait paraître anodine si l’on ne se penchait pas un peu plus sur le sujet mais, quand l’idée fait son chemin, il est facile de comprendre cette nouveauté.
On préfèrera utiliser Teamspeak pour communiquer d’un endroit fixe de par l’utilisation qu’on fait souvent de ce logiciel dans le monde du gaming. À l’inverse, les SMS et l’application Skype, permettent de dialoguer sans aucune contrainte. Le smartphone est l’outil mobile par excellence : une majorité de français en possède un, il offre tout un tas de systèmes de messagerie instantanée et il s’utilise en déplacement pour peu que le réseau soit couvert. Avec ces quelques critères, il devient évident que le changement de canal a été désiré par les deux partis pour intensifier leurs échanges.
Quand les moyens techniques sont là, il n’y a plus aucune barrière possible pour empêcher deux personnes de dialoguer, d’autant plus quand on compte sur les sentiments amoureux. Passer par une messagerie instantanée, quand on flirte par messages, permet au terme instantané de prendre tout son sens. Un message envoyé par l’un sera lu rapidement par l’autre, qui en profitera pour y répondre. Un jeu de séduction, sous la forme d’un ping-pong textuel peut finalement s’engager entre les deux partis jusqu’à ce que l’un tombe de sommeil ou que ses obligations l’empêchent de répondre.
Le travail d’un dialogue par messages interposés se joue principalement sur la capacité des personnes concernées à rebondir sur le message que l’autre a envoyé. Aussi insignifiant ait-il pu être, le message reçu recevra une réponse afin de conserver un flux continu qui correspondra à l’aura amoureuse de l’échange.
Ce besoin de répondre à l’autre se traduit notamment par l’envie réciproque de recevoir un message de sa part. Un prêté pour un rendu. Quand nous recevons un message de l’être révéré, le corps réagit en conséquence. Le cœur se met à battre la chamade, le rose peut monter aux joues, le cerveau bout en s’imaginant être en la compagnie de l’autre, un sourire niais apparaît au coin des lèvres d’une manière irrépressible… Ces quelques signaux sont révélateurs d’une envie qui se transforme en besoin tant lire un message devient une drogue.
En communiquant autant et en flux tendu, les personnes qui se plaisent se découvrent et apprennent à se connaître. Sans chercher à s’entre-questionner, leur manière de communiquer les pousse à faire un tour d’horizon des avis, des goûts et des émotions de l’autre sur une quantité illimitée de sujets. Les contours d’une intimité se développent alors à la vitesse de leurs échanges.
Quand on applique l’instantanéité aux plateformes de rencontre, de nouvelles informations font jour. Les sites de rencontre, adaptés à une position fixe derrière un ordinateur, se sont bien rendus compte qu’il était nécessaire de s’adapter à leur public. Sur les sites et applications de rencontre, les relations ont tendance à se développer plus rapidement. Être sur ce genre de plateforme c’est désirer la relation amoureuse, quand dans la vie courante c’est une affaire qui vient plus naturellement. À mesure que le désir d’aimer est présent et que la personne avec qui l’on dialogue réveille cette appétence, les échanges se feront soutenus.
Internet, et plus généralement les services de messagerie, sont un atout majeur dans le développement d’une relation. L’exemple de Richard s’appuie sur l’idée qu’on peut tomber amoureux de l’inconnu mais il n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Quand on relève l’exemple de Laura, cette dernière nous apprend qu’elle connaissait en chair et en os le garçon avec qui elle flirtait et que les messages qu’ils échangeaient devinrent leur moyen de communication privilégié pour se séduire. On peut en venir à la conclusion que l’instantanéité dans une discussion repose principalement sur l’envie (voire le besoin) des acteurs principaux de se parler encore et toujours pour créer une intimité qu’ils chériront.
La recherche amoureuse c’est avant tout la recherche d’un idéal. Quand on cherche sciemment l’amour, comme ça peut être le cas en s’inscrivant sur un site de rencontre, nous avons une idée derrière la tête. À quoi ressemblera l’être aimé ? Quels seront ses traits de caractère, de personnalité ? Répondra-t-il à nos standards ? Ces questions au paraître anodin révèlent pourtant qu’il y a certains pré-requis recherchés chez sa ou son partenaire.
Les plateformes de rencontre, de par l’absence physique de l’interlocuteur, favorisent la création de cet idéal. À mesure qu’une discussion se développe, on en vient à graver une image mentale de la personne qui anime nos conversations. Que ces traits imaginés soient avérés ou non n’a que peu d’importance jusqu’au moment fatidique de la rencontre. Tout ce temps passé à dialoguer avant ça permet de fantasmer l’autre à la hauteur de nos attentes. Les personnes en manque d’affection verront dans un « Je comprends » un signe de déférence ; les personnes qui ont une préférence pour les grands bruns verront dans la photo un peu floue d’un homme aux cheveux ras et sombres l’homme idéal.
Avec les réseaux sociaux, la dynamique est un peu différente. Sur Facebook ou Instagram, il est possible d’imaginer l’autre en fonction de ce qu’il nous laisse entrevoir. Souvent, ce sont des personnes que nous connaissons déjà un minimum que l’on retrouve sur ces plateformes. Il peut s’agir d’une connaissance éloignée comme d’un collègue ou d’un ami d’ami. Le physique rentre alors assez peu en considération puisqu’il s’agit d’une donnée déjà acquise, mais c’est toute l’histoire et la psychologie de la personne que l’on peut fantasmer.
À fouiller des heures sur Internet à la recherche d’informations sur l’autre, on découvre ce qu’il ou elle nous autorise à voir : sa position professionnelle, ses photos de soirées, de vacances, ses artistes de référence, ses goûts cinématographiques, culinaires, musicaux, ses relations… Il devient alors tentant de croire en ce que la personne dit d’elle-même au travers de ses réseaux.
Quand on prend le problème à l’envers, la question devient simple. En se plaçant soi-même comme étant cette personne qui parle à d’autres et qui se dévoile sur Internet, le spectre de l’analyse se précise.
Échanger à distance avec quelqu’un permet de réfléchir posément à ce qu’on compte dire à l’autre. Par le biais de cette distance, se montrer sous son meilleur jour et n’afficher que ses bons côtés aura tendance à devenir une norme pour intensifier l’idéalisation dans l’esprit de son ou sa destinataire. Il n’est pas rare non plus qu’en idéalisant les mécaniques de l’autre, nous créions un personnage à la mesure de ce que nous pensons que l’autre pourrait aimer nous voir être.
Les réseaux sociaux semblent alors être des éléments de réponse pour qui se pose des questions sur la personne avec qui il y a un échange.
La séduction est un art subtile qu’il convient de maîtriser avec justesse et précision. Derrière un écran, nous sommes privés de nos sens qui généralement accompagnent des instants de séduction, comme des regards dérobés, un effleurement accidentel, des intonations suaves ou des sourires malicieux. En ligne, nous sommes dépourvus du langage du corps. La séduction devient cérébrale. Nous avons le temps de travailler notre répartie pour trouver la prose qui fera chavirer le cœur de l’être convoité rien qu’à sa lecture.
Pour aider les apprentis séducteurs, de nombreux métiers se sont développés ces dernières années, notamment celui de coach en séduction. Nous avons interrogé Brenda Boukris, qui exerce ce métier auprès d’une centaine d’hommes et de femmes en proie à des questionnements intérieurs sur leur capacité à séduire.
Elle nous raconte que, chez les femmes, le besoin est plus ciblé sur la confiance en soi, quand chez les hommes, ça sera plus le sentiment d’être démuni face à une femme lorsqu’il faut l’aborder. Elle nous a confié avoir noté des changements entre le début de son activité et maintenant sur les manières de séduire : « Pour les hommes notamment, qui ne savent plus comment aborder une femme depuis l’affaire Weinstein, le #Metoo et le #BalanceTonPorc. Les hommes se demandent lorsqu’ils peuvent draguer, ce qui va être considéré comme du harcèlement ou non. Il y a une grande part d’éducation à la séduction dans ce métier. »
Séduire quelqu’un, c’est forcément se mettre un peu en danger, on prend le risque que l’autre ne soit pas réceptif à nos avances. Se prendre un rateau ou se faire éconduire donne cette sensation désagréable de recevoir des coups de poignard dans notre ego. Si la séduction en ligne et la séduction dans le réel ne sont pas fondamentalement différentes, elles répondent toutes deux à des codes bien spécifiques qu’il faudra manier habilement pour s’assurer de ne pas rater son coup.
En ligne, on préférera des phrases construites avec une pointe d’humour, avec une référence bien placée ou encore accompagnée de poésie. Dans le réel, la répartie passe au second plan, ce que l’on va dire n’a finalement que peu d’importance, la séduction se fera principalement par le langage du corps et l’attitude que l’on dégage.
Sur les plateformes de rencontre, lorsqu’on arrive à séduire quelqu’un qui nous plait, il faut ensuite se donner rendez-vous dans le réel. Selon l’IFOP, ils sont à peine plus d’un utilisateur sur deux à avoir rencontré quelqu’un en vrai par le biais d’une plateforme de rencontre. Le but premier des applications de rencontres, comme leur nom l’indique, n’est-il pas d’opérer une transition vers le réel en se rencontrant ? Il semble que ce saut vers la réalité soit abordé avec beaucoup d’appréhension.
La plus grande appréhension de Laurence, 55 ans, était qu’on lui pose un lapin. Rien de pire que de prendre son courage à deux mains et se retrouver seul sous les lumières du réel quand l’autre sera resté derrière la pénombre de son écran.
Charlotte, elle, nous avoue qu’elle ne peut pas s’empêcher de fantasmer la rencontre, lorsqu’elle parle avec quelqu’un sur un site de rencontre, elle s’imagine la rencontre et se demande : « Est-ce que ça va être aussi bien que ce que je m’imaginais ? » Bon nombre de relations se tissent virtuellement et augurent une belle rencontre. Pourtant, parfois, ça ne se passe pas comme prévu. Presque comme si les corps devaient rattraper à toute vitesse l’avance prise par les cerveaux et parfois, la coordination des deux ne peut pas se faire.
Parmi nos enquêtés, nous avons pu noter une différence entre les hommes et les femmes dans leur appréhension liée à la rencontre. Les hommes interrogés nous ont tous répondu être plus excités par la rencontre à venir qu’angoissés à son idée. Jeffrey, 27 ans, a toujours été assez serein : « De toute façon, tu le sens quand la personne a un faible pour toi. »
Selon l’IFOP, seuls 48 % des hommes hétérosexuels ont réussi à rencontrer quelqu’un dans le réel. Les hommes arriveraient donc moins que les femmes a passer du virtuel au réel, ce qui n’a finalement rien d’étonnant lorsqu’on sait que la majorité des plateformes de rencontre possèdent un pourcentage d’hommes plus élevé que de femmes.
Pour 71 % de nos interviewés, sur les sites de rencontres nous passons plus de temps à swiper et à lire le profil des autres membres plutôt qu’à tenter de les rencontrer. Une fois la discussion engagée avec quelqu’un qui nous plait, il faut prévoir un rendez-vous.
Internet a déjà créé de belles histoires d’amour aux allures de conte de fées : deux personnes non destinées à se rencontrer discutent sur une plateforme de dating, se rencontrent, se marient et ont beaucoup d’enfants. Ces belles histoires sont comme des mots qu’on se fait passer, des légendes urbaines qu’on entretient et qu’on se répètent entre nous, comme pour se donner de l’espoir. Notre âme sœur est peut-être à un swipe de nous, qui sait ?
Ces belles histoires ne sont pourtant pas représentatives de la majorité des rencontres qui se font par le biais d’une plateforme de rencontre. Sur dix rencontres, combien vont aboutir à une belle histoire ? Le nombre d’utilisateurs d’applications de rencontres explosent. Tinder comptabilise 110 millions de téléchargements dans 169 pays, ce qui est bien un indicateur que le nombre de célibataires n’a pas évolué et ce, malgré l’avènement des sites de rencontres. Selon l’Observatoire de la rencontre en ligne, étude réalisée par l’Ifop en 2018, les sites de rencontres apparaissent « comme un outil particulièrement adapté à la pratique d’une sexualité purement récréative, centrée sur l’épanouissement sexuel plutôt que sur les contraintes du couple ».
Au delà de la nature de la relation, la première rencontre semble être un passage délicat qui peut provoquer une certaine gêne. Catherine Blanc, sexologue et psychanalyste, analyse cette gêne que nous pouvons ressentir lors de notre première rencontre : « Ce qui fait furieusement défaut, avec Internet, c’est le corps. Le corps de l’autre est toujours déstabilisant, il est à séduire. Et le malaise physique fait partie intégrante de la rencontre : il parle de notre désir et de ses contradictions, de notre difficulté à les accueillir. Ces ratés nous obligent à nous révéler, malgré tout. Alors que chez soi, devant son écran, on peut rêver sa relation. On a tout le temps de l’écrire, la scénariser, analyser le discours de l’autre, s’y adapter, surjouer nos capacités. » Rester naturel et honnête envers soi-même et l’autre serait la clé pour éviter de tomber de haut au moment de la rencontre.
Cependant, lorsqu’il s’agit de rencontres amoureuses, c’est notre potentiel de séduction que nous testons. Nous souhaitons véhiculer auprès de l’autre la plus belle image de nous-même pour lui plaire et pour apprécier le reflet de cette image.
Lors de la rencontre, le corps va prendre la relève sur les mots et nous sortir du scénario que nous avions préalablement bien ficelé derrière notre écran. La rencontre nous pousse violemment vers une réalité dont nous nous étions protégés et que nous avions même, parfois, réinventé.