Il existe une multitude de sites et d’applications de rencontres sur le net. Ils répondent à tout un tas de critères propres à chacun et en choisir un peut relever d’un choix conscient comme d’un hasard de la vie. Dans un cas de figure comme dans l’autre, le fait de continuer à utiliser une plateforme précise nécessite que celui ou celle qui l’utilise en apprécie son fonctionnement.
Prenant exemple sur une expérience menée par le studio américain Sidebench, nous avons décidé d’étudier trois applications de rencontres afin de définir ce qui plait tant chez ces dernières. Pour offrir des points de comparaison entre chacunes de ces applications, l’étude se portera sur plusieurs critères :
J’utilise Tinder depuis un peu moins de deux mois. J’avais tenté l’expérience il y a quelques années de ça, à l’époque il fallait se connecter en liant son compte Facebook, chose à laquelle j’étais particulièrement réticent (j’essaie de faire le plus attention possible à l’usage de mes données personnelles et c’est de notoriété publique que Facebook est borderline sur le sujet).
J’ai cru devoir recommencer le process mais ce n’est plus le cas : un numéro de téléphone est nécessaire maintenant. C’est toujours moins que toutes les données d’un compte.
Après, niveau prise en main c’est difficile de faire plus simple comme mécanisme (swiper dans un sens ou l’autre jusqu’au match, quoi de compliqué ?). Le plus « dur » techniquement reste d’avoir un profil correct. Avoir des matchs est une chose, mais s’il n’y a rien à dire, ça n’en vaut pas la peine. Du coup il fallait une bio relativement intéressante pour donner des sujets de conversation avec les gens.
En ouvrant Tinder, je prends le temps de lire les profils de quelques personnes. Plus la bio est sympa, mieux c’est. Point bonus pour l’ironie et le manque de sérieux. Je réitère la chose plusieurs fois, en passant quelques minutes parsemées dans la journée jusqu’à ce que j’obtienne un match, où je prends le temps de réfléchir à un petit truc drôle à sortir (et éviter le « Salut ça va » sans originalité, sans saveur). Je retourne sur les matchs que j’ai eu et soit je continue les conversations que j’ai, soit je tente une blague pour relancer un sujet de discussion.
J’ai activé les notifications au début, ça me permettait d’être relativement actif sur l’application. Quand je recevais une notification pour un nouveau match/message, j’allais regarder de quoi il s’agissait et prenais le temps de composer quelque chose d’intéressant à dire.
Le but c’est quand même d’engager la discussion (d’ailleurs quasiment aucune utilisatrice ne lance le premier message et on ne va jamais loin avec un « salut ça va ». Par contre en demandant comment cacher une girafe volée au gouvernement, il y a matière à discuter un peu plus).
Au bout d’un certain temps et des affinités faites avec certaines utilisatrices, j’ai commencé à passer moins de temps sur l’application. Maintenant, j’ai désactivé les notifications pour aller sur Tinder seulement quand l’envie m’en prend et non dès que j’ai de nouveaux messages ou matchs.
L’impossibilité d’envoyer des GIF animés, c’est un total dealbreaker de l’application à mes yeux. Gros point perdant également : l’impossibilité d’envoyer des images de son téléphone.
Discuter normalement ça vient tout seul quand on s’entend bien, vu que l’on peut communiquer sur Tinder, il n’y a pas de problème. Mais à partir du moment où l’on souhaite s’échanger quelque chose qui est autre que du texte [image, gif, document, nda] on se heurte à une impasse.
Pour les utilisatrices avec qui le feeling passe bien on garde contact. On change toujours de canal et on s’échange nos numéros personnels pour continuer. Il arrive pour certaines de passer par WhatsApp car elles sont étrangères et la communication avec un numéro international serait sur-facturée par l’opérateur.
J’utilise Bumble depuis six mois, je n’ai pas eu de problème pour prendre en main l’application. Le système de swipe est comme celui de Tinder, mais avec un twist : c’est à la fille d’aborder le mec, et il y a une limite de temps.
Une appli facile à utiliser, que je n’ai pas de problème à comprendre, et avec un peu plus de challenge.
Quand j’ouvre l’appli, je procède ainsi : je me fais une session de swipe, en envoyant des messages à tous les mecs qui matchent avec moi. Ça va être un « Hello 🌞 » ou je vais rebondir sur un truc drôle sur leur bio.
J’ai aussi activé les notifications pour voir si un de mes matchs m’a répondu.
Entrer en contact avec quelqu’un sur Bumble est facile, c’est un peu comme un jeu.
Quand la conversation et la personne deviennent intéressantes, il arrive que l’on change de canal.
J’utilise Happn depuis quelques mois. Au départ, l’application m’a fait bonne impression avec ce nouveau concept de rencontres en voyant les personnes « croisées ».
Il y manque par contre un bon système de messagerie.
Quand j’ouvre l’app, je regarde les premiers profils rapidement. Et si c’est disponible je joue à leur « Crush Time » (principe : retrouver un profil qui t’a liké parmi trois autres). C’est généralement comme ça que j’ai mes likes. Crush Time me fait travailler la mémoire. En vrai, c’est amusant de savoir qui a pu te liker. Dès fois j’ai des bonnes surprises.
Je suis notifié lorsque je reçois un like ou un rappel d’Happn qui dit que j’ai croisé tant de personnes.
Les profils sont composés généralement de quelques photos, avec une courte description… ou pas d’ailleurs.
Je regarde principalement le visage et si elle sourit un minimum, le corps, la qualité des photos et surtout l’environnement autour de la personne (voyages, amis, lieux… si c’est tout le temps dans la salle de bain face au miroir : bye) et aussi ce qu’elle fait dans la vie, si c’est noté.
Pour commencer à parler avec une fille, j’attends tristement qu’elle me like back ou je la trouve sur Crush Time.
Mais rentrer facilement en contact avec l’une d’elles ? Meh️… Ca dépend des profils. Il y a tellement de concurrence que je sais l’effet que c’est d’être un grain de sable dans le désert.
Dialoguer régulièrement avec des utilisatrices ? Mon égo dirait « Of course 😎 » mais la réalité est différente. Entre celles qui ne te répondent pas, celles où tu n’envoies pas de messages et celles qui ne relancent pas la discussion… Et puis il y a des périodes, parfois ça tombe de ouf et d’autre fois c’est No match’s land.
Il arrive qu’il y ait des changements de canal. Eh oui, je veux pécho du numéro !
Plus sérieusement, j’essaye assez rapidement de le faire (après une semaine de discussion environ). Déjà pour éviter leur messagerie pas incroyable et pour les GIF !
Généralement, je demande un numéro si le feeling passe et que le premier rendez-vous va avoir lieu. C’est plus simple et plus fonctionnel.
De nos trois cobayes, aucun n’a semblé avoir de difficultés à utiliser son application fétiche. En cause, probablement, l’uniformisation qui s’est établie ces dernières années sur une majorité des applications de rencontre trouvables dans les stores de nos smartphones. Dans le courant de notre étude, nous avons été amenées à étudier bon nombre d’applications de rencontre. Tinder, Bumble et Happn ont évidemment fait partie de ce panel de recherche mais se sont aussi ajoutées d’autres applications.
Une majorité de ces applications étudiées et les retours de nos trois cobayes s’accordent sur un point commun impossible à passer sous silence : il y a forcément une sélection de profils grâce au swipe ou à une fonction de Go/No-go. De nos jours, il semble indispensable pour les services de rencontres que deux personnes qui dialoguent ensemble se soient accordées avant ça sur le fait qu’elles voulaient en arriver là. Si les applications ont lancé ce mouvement, les sites Internet s’y sont aussi mis en observant la tendance de leurs benjamines.
L’uniformisation globale des services de rencontres en ligne, au même titre que ce qu’on observe dans les applications de services de VTC ou de livraisons de repas à domicile, permet avant tout d’offrir aux utilisateurs une adaptation rapide à une nouvelle plateforme à l’apparence similaire. Ce qui fera la différence entre ces services sera avant tout la valeur ajoutée décidée par chacune des applications.
Tinder utilise le Super Like pour se différencier : une fonction permettant de notifier au profil qui nous plaît que nous souhaitons absolument entrer en contact avec.
Bumble, pour augmenter l’interaction entre deux personnes qui se plaisent, ne laissera que vingt-quatre heures à celui ou celle qui a apprécié un profil pour envoyer un message. Une fois ce délai passé, le profil disparaît et il ne reste plus qu’à s’en mordre les doigts.
Happn, comme le dit Aymeric, préfère jouer sur une gamification de son service en proposant quatre profils dont un seul a déjà indiqué être intéressé.
En prenant uniquement ces trois exemples, une donnée importante fait jour : les applications de rencontres s’assurent que les personnes utilisant leur produit trouveront une occasion d’engager la discussion avec leur prochain.
Nos trois cobayes sont unanimes sur les informations importantes à leurs yeux et l’on pourrait les résumer à un duo gagnant. Pour qu’un profil intéresse l’autre, il doit comporter deux choses sur lesquelles toute l’attention se portera : la photo de la personne et la description qui l’accompagne.
Allan nous indique que ces informations sont nécessaires dans un premier temps pour se faire une idée de la personne avec qui il va entamer le dialogue mais aussi afin d’avoir matière à discuter ensuite. Aymeric, lui, a une approche plus pragmatique de la chose quand il annonce que la photo prime car elle comporte plusieurs éléments qu’il va se permettre d’observer. C’est à travers les photographies de la personne qu’il se fera une idée de l’autre et sa grille de critères déterminera s’il est intéressant de donner une chance à ce profil ou non.
La description, quant à elle, permettra de combler les blancs qu’une photographie laisse. « Que fait-elle dans la vie ? Fait-il du sport ? Où habite-t-il ? Quels sont nos loisirs communs ? » sont autant de questions que nous sommes en droit de nous poser face à un ou une inconnu.e dont on ne connaît que quelques traits du visage mis en valeurs par une belle photo. Le dialogue qui s’ensuivra, si la description est intéressante, pourra s’animer de ce que l’un et l’autre auront chiné dans les quelques mots qu’ils ont utilisés pour se présenter.
C’est à travers les mots plus qu’avec n’importe quoi d’autre qu’on peut se rendre compte de ce que dégage l’autre. Plutôt drôle ou sérieux.se ? Plutôt grandes envolées lyriques ou simplement quelques mots directs ?
Si la messagerie instantanée est une fonctionnalité prisée de celles et ceux qui l’utilisent car indispensable, elle n’en est pas moins critiquée chez deux de nos trois cobayes. La cause de cette critique : les limitations opérées par les applications pour empêcher le partage d’images ou de photographies. Il ne faut pas chercher longtemps pour comprendre pourquoi les applications étudiées empêchent cet accessoire de communication. Les plateformes de rencontres sont connues pour aider celles et ceux qui le désirent à rencontrer du monde, elles ne le sont pas moins concernant cette idée de la dick pic indésirable. Le fait est d’ailleurs avéré, comme le rappelle l’Ifop dans son étude réalisée pour UfancyMe en indiquant que 42 % des utilisatrices de sites de rencontres ont déjà été confrontées à la réception de la célèbre dick pic.
Qu’est-ce qu’une Dick pic ?
Généralement, une dick pic désigne une photo non désirée montrant l’appareil génital de l’expéditeur à destination d’une personne qu’il cherche à séduire.
Cela étant, pour les honnêtes gens, cette limitation peut rapidement devenir un frein pour peu que l’on soit friand.e de petites photos d’instants volés ou encore collectionneur.se de mèmes rigolos. Comportement que l’on retrouve notamment sur les réseaux sociaux et les services de messagerie instantanée classiques comme Messenger, WhatsApp ou encore les SMS. À mesure que la discussion entre les deux partis s’intensifie, il peut alors devenir nécessaire de communiquer autrement que par l’application de rencontres.
C’est pour répondre à ce besoin qu’un changement de canal peut s’effectuer, offrant ainsi une plus grande liberté de dialogue. Mais ça n’est pas pour autant le cas le plus courant.
Quand on lui parle de changement de canal, Aymeric raconte que la raison principale est l’organisation du premier rendez-vous. S’il y a bien quelque chose sur laquelle les applications ou les sites de rencontre n’ont aucune prise, c’est bien la fiabilité du réseau. Prévoyant, Aymeric est un exemple typique des connaissances qu’on a des limitations des messageries instantanées : quoi de pire que de se retrouver en rade de réseau à l’instant même où l’on doit retrouver celui ou celle avec qui l’on a rendez-vous ? Seul le téléphone et les SMS sont alors capables de nous sauver la mise.
Pour Allan et Meriem, la raison est un peu différente : s’il y a changement de canal, c’est qu’il y a un coup de cœur. Quoi de plus romantique alors que d’attendre de voir où ce nouveau canal les mènera dans leur aventure amoureuse ?
Quand on utilise un site ou une application de rencontres dans le but de trouver la personne avec qui partager un petit bout de vie, voire vieillir avec, il semble nécessaire de s’attarder sur les quelques détails que l’on découvre de l’autre dans le courant des échanges. Pour découvrir quels critères semblaient les plus importants aux yeux de ces personnes, nous avons établi, dans notre questionnaire relayé à travers toute la francophonie (ou tout du moins on l’espère), un panel de questions jouant sur nos interrogations.
En voici notre constat :
Selon notre questionnaire…
Selon notre questionnaire…
À l’image de leur baseline, « Trouvez votre moitié, pas votre double », Affiny est persuadé que nous sommes plus complémentaires qu’identiques. À l’inscription, l’utilisateur devra répondre à un questionnaire de vingt minutes sur ses valeurs, ses objectifs ainsi que sur sa vision du couple et des relations amoureuses. En réalité, chaque réponse construit l’ADN de l’utilisateur que l’algorithme croisera ensuite avec d’autres utilisateurs pour définir un niveau de compatibilité avec d’autres utilisateurs. Eric Chollet nous confie que « chaque question a une pondération différente pour construire l’ADN. Certaines questions sont plus importantes que d’autres comme celles où l’on indique le degré d’importance d’un critère de recherche ».
Réalisé par une équipe de psychologues et d’experts en tests de compatibilité, ce questionnaire aide à établir un profil psychologique de l’utilisateur. Eric Chollet nous explique que ces experts psychologues « ont mis un degré d’importance à certaines questions plutôt qu’à d’autres et c’est au moment où les deux chaînes d’ADN entre deux utilisateurs se croisent qu’on calcule des scores de compatibilité ».
Grâce aux réponses de l’utilisateur, l’algorithme arrive à déterminer notre style de vie et notre vision du couple pour trouver des personnes qui vont être complémentaires plutôt qu’en total accord avec notre vision. Pour les équipes d’Affiny, ce n’est pas parce que nous avons répondu la même chose à plusieurs questions, que nous allons être compatibles. Au contraire, il s’agit de trouver un juste équilibre entre similitudes et points de différence. « L’idée est de se rapprocher de la manière dont fonctionne réellement un couple, finalement », conclut Eric Chollet.
Les magnats des applications de rencontres l’ont bien compris : l’image que nous renvoyons sur le web nous importe énormément. Tinder, notamment, s’autorise à noter notre désirabilité mais également notre intelligence. Dans son livre L’amour sous Algorithme, Judith Duportail s’est attelée à disséquer les mécanismes opaques déployés par Tinder sur nos profils. Elle y explique que « ce n’est pas une simple mesure de la beauté, il ne s’agit pas juste de calculer le nombre de personnes qui ont swipé à droite sur vos photos. C’est un système très complexe pour évaluer la désirabilité d’un profil ». En réalité, chaque utilisateur se voit attribuer un Elo Score, qui à l’origine est un système d’évaluation du niveau de jeu des joueurs d’échecs.
Initialement spécifique à des jeux en un contre un, le Elo Score sert également à évaluer la cote des joueurs de football. Ce score s’appuie sur le choix des individus quand ils font face à un choix d’interaction. Il s’agit alors d’établir une cote en fonction de leurs performances.
Avec Tinder, chaque fois qu’un profil est présenté à un utilisateur, un tournoi en un contre un se joue. Judith Duportail précise que « quand votre profil est montré à quelqu’un, vous êtes matché “contre” quelqu’un d’autre. Si la personne “contre” vous a une cote supérieure et vous like, vous gagnez des points. Si elle a une cote basse et vous ignore, vous en perdez ».
Dans le brevet en ligne de Tinder, les auteurs défendent la nécessité de mettre en place un système de matching sur des sites de rencontres et l’importance de ne pas laisser l’utilisateur choisir lui-même le profil qui va lui correspondre. Pour illustrer leur travail, ils présentent deux utilisateurs fictifs nommés d’après les protagonistes d’une comédie romantique iconique : Quand Harry rencontre Sally. On peut y lire que : « Le serveur peut-être configuré pour lire des signaux implicites à l’aide d’algorithmes de reconnaissance faciale pour détecter l’ethnicité, la couleur de cheveux ou encore la couleur des yeux des personnes ayant été likées par l’utilisateur. Plus Harry et Sally ont de mots-clés en commun, plus ils ont de chances d’être présentés l’un à l’autre. »
En établissant un score d’attractivité physique, les auteurs du brevet amènent le fait que deux personnes ayant le même niveau d’attractivité seront plus susceptibles de s’entendre.
L’algorithme de Tinder ne s’arrête pas à ça. Notre Elo Score se base également sur notre niveau d’études et réussit à établir un niveau d’intelligence. On peut lire dans ce brevet que : « Le serveur de matching analyse des facteurs comme le nombre moyen de mots par phrases, le nombre total de mots comptant plus de trois syllabes ou le nombre de mots utilisés. Les analyses obtenues peuvent permettre de déterminer le QI d’un utilisateur ou son niveau scolaire. »
Sur ces principes de notation, Tinder va sélectionner des personnes qui nous seront présentées. À chaque match notre cote évolue, et parfois de manière étonnante. Si une femme avec un niveau d’études supérieur like un homme avec un niveau d’études inférieur, elle va perdre des points. À l’inverse, un homme qui like une femme avec un niveau d’études inférieur à lui gagnera des points.
Ces informations, corrélées au constat que l’on a pu dégager de notre questionnaire, nous permettent d’observer une chose primordiale. Le critère déterminant que recherchent les femmes chez leur partenaire, juste après leur humour, est leur niveau d’études. Chez les hommes, l’humour vient aussi en premier critère, suivi de la proximité géographique ; le niveau d’études, quant à lui, arrive dans les dernières positions. Ce constat, particulièrement sexiste puisqu’il repose sur le fait qu’une femme n’a pas besoin d’un haut niveau d’études pour être un choix intéressant, prouve sans difficulté que le patriarcat a encore la peau dure et que les algorithmes y participent, perpétuant le schéma de nos sociétés contemporaines.
Il y a un terme qui, en français, a tendance à perdre de sa substance : Design. En français, on l’accorde particulièrement à tout ce qui englobe un univers graphique, ce qui est loin d’être une erreur. Cela dit, on ne peut nier qu’il manque certaines nuances à ce terme qui, quand on le rend à sa langue d’origine, se nourrit d’une définition bien plus riche.
Mais le design, qu’est-ce que c’est ? En anglais, « Design » pourrait être assimilé au mot « Création » dans sa forme la plus littérale. On crée un produit, un langage, une manière d’agir, une esthétique, un concept, un champ lexical unique…
Les plateformes de rencontres s’habillent de tout ce qui compose le design pour attirer un public et, chacune à sa manière, propose un univers qui n’appartient qu’à elle. C’est dans cette optique que nous avons étudié plusieurs aspect du design de certains sites et applications de rencontres.
Sur Tinder, l’identité de l’application retranscrit l’attitude légère avec laquelle les utilisateurs recherchent des rencontres. Le logo représente une flamme et les interactions ressemblent à celles d’un jeu binaire où l’on peut soit gagner, soit perdre. Le Product Designer de l’application Once, Fred Tourrou, nous explique que le design fait partie d’une identité de marque qui ne va pas toucher l’utilisateur de la même manière en fonction des partis pris. Il prend comme exemple « le rouge de Tinder » qui « rappelle le feu surtout avec le logo qui est une flamme, ça annonce la couleur si j’ose dire ».
L’application Once s’adresse quant à elle à une cible plus sérieuse, qui souhaite prendre le temps de faire des rencontres de qualité. Once, c’est pour « Once upon a time » : la première phrase d’un conte de fées. C’est sur ce terrain féérique que joue l’application, et son logo, un crapaud coiffé d’une couronne, rappelle avec panache cette histoire populaire du crapaud devenu prince charmant au premier baiser de celle qui l’aimait.
Sur Fruitz, le designer et co-fondateur de l’application a voulu une ambiance « colorée et arrondie ». Il nous explique avoir préféré un design « ludique et coloré qui découlait du concept et de la cible ». Il n’est pas rare d’entendre parler de recherches préparatoires nécessaires à la mise en place d’une identité. Il souligne l’importance d’avoir un design cohérent avec les attentes de l’utilisateur et pour le vérifier, il le fait systématiquement tester à un panel d’utilisateurs.
De l’autre côté, les principaux acteurs du dating ne font pas évoluer leur design, lorsqu’ils ont trouvé quelque chose qui marche auprès des utilisateurs, ils le gardent. Eric Chollet nuance en nous expliquant que le design d’une plateforme qui a déjà fait ses preuves est très dur à modifier également « parce que les utilisateurs sont très habitués à ce que ça fonctionne comme ça ».
Sur OkCupid, lorsque nous swipons un profil à droite pour l’approuver, une étoile dans un rond jaune s’affiche sur la photo et ne disparaît qu’à l’occasion de la validation de notre action. Il en va de même quand on décide d’ignorer un profil et, à la place d’une étoile c’est une croix dans un rond rouge qui se dessine lorsque l’on swipe à gauche.
C’est ici qu’on peut parler de design d’interaction ; pour une action effectuée, vous aurez un retour de l’interface. Les applications mobiles sont particulièrement friandes de ce genre de procédé et cela répond à un besoin spécifique : rassurer les utilisateurs sur les actions qu’ils ont effectuées.
Pour les applications, plus que pour les sites de rencontres, indiquer à l’utilisateur qu’il a effectué une action, et que celle-ci est dorénavant gravée dans le marbre, offre une certaine solennité à ce qui a été effectué. Pour chaque action, il y a une conséquence. Alors prêter attention à ses faits et gestes devient nécessaire pour ne pas être en reste.
Toujours sur OkCupid, lorsque nous swipons un profil à droite, il est possible que la personne derrière ce profil vous ait aussi swipé à droite. Résultat : il y a un match et une interruption se crée dans la routine du swipe. En procédant ainsi, OkCupid nous incite à prendre le temps de nous poser quelques secondes afin de s’intéresser à cette personne qui semble apprécier ce qu’il ou elle a vu de nous. L’interaction avec l’interface se modifie alors en nous invitant à faire le premier pas vers l’autre.
Malgré des cibles souvent différentes, beaucoup d’applications de rencontres ont tendance à se ressembler. D’une application à l’autre, il n’est pas rare de retrouver les mêmes interactions. Fred Tourrou nous explique que dans le domaine du dating, « il existe une énorme concurrence, tout le monde s’espionne et s’épie. Tout le monde copie ce que fait l’autre. Quand Tinder décide d’implémenter une nouvelle fonctionnalité, tu es sûr que tous les autres vont le faire derrière ».
Facebook, réseau social particulièrement connu sur les quatre coins du globe, est un modèle flagrant de ce qui a pu inspirer certaines plateformes de rencontres en ligne. Flux d’actualité, ajout réciproque de l’autre, reaction like sur les photos, hashtag dans les descriptions, messagerie instantanée en bas à droite de votre écran d’ordinateur… ces codes, Facebook et d’autres réseaux sociaux les ont banalisés et les plateformes de rencontre s’en sont emparés.
Lorsqu’un utilisateur découvre une toute nouvelle fonctionnalité, il va avoir une courbe d’apprentissage. Nous sommes fainéants et les designers le savent. Pour nous éviter l’apprentissage d’une nouvelle interaction, on retrouve régulièrement sur les plateformes de rencontres des fonctionnalités que l’on a l’habitude de croiser ailleurs. Et cet ailleurs, c’est souvent les réseaux sociaux.
Il en va de même avec les éléments picturaux qu’on retrouve régulièrement un peu partout. La sémantique a sa part de responsabilité mais l’économie comportementale joue, elle aussi, un rôle important dans ce travail. L’humain calque ses connaissances sur ce qu’il a déjà expérimenté par le passé. Quand on voit un pictogramme en forme de bulle de dialogue, tel qu’on en a déjà croisé sur Facebook et Twitter, il n’est pas difficile de s’imaginer à quoi peut correspondre ce même pictogramme sur un service comme Meetic ou Bumble.
Les designers graphiques développent un univers qu’ils veulent unique pour leur public. Pour ce faire, ils auront tendance à laisser leur créativité tourner à plein régime pour mettre en place l’identité globale du produit. Mais, pour s’assurer de la compréhension de ce dernier, il apparaît indispensable de mettre le holà pour favoriser les connaissances déjà acquises via des plateformes universelles.
Terme apparu ces dernières années, l’UX writing pourrait se définir comme étant le pendant écrit du design graphique pour amener les utilisateurs à savourer un produit comme il se doit. Savant mélange de rédaction de contenu et de design d’interaction, on compte avant tout sur l’UX writing pour communiquer avec l’utilisateur.
Dans un premier temps, c’est le ton global de la plateforme qui est défini : comment communiquera le produit avec son public ? Ensuite, ce sont les informations qu’on fera parvenir qui doivent être développées : quels éléments faudra-t-il communiquer à ses utilisateurs et utilisatrices ?
C’est dans les interactions les plus croustillantes qu’on perçoit pleinement le travail effectué. S’il y a un match, le ton est enjoué et invite à entamer le dialogue. S’il y a un like de la part d’un ou d’une autre, s’il y a un charme, un wiz, un poke… Une formulation en accord avec l’environnement développé par la plateforme viendra signaler cette nouveauté par une notification sur le téléphone, par un mail ou encore par une pop-in au coin de l’écran.
AdopteUnMec et son champ lexical très porté sur le supermarché et la féérie exprime à travers les termes employés l’orientation décomplexée de sa plateforme. C’est de cette manière qu’on crée une identité forte et c’est ce que toutes les plateformes de rencontres essayent de produire. Mais pas toutes avec autant de réussite.
Utiliser une application de rencontres sur son smartphone c’est ouvrir la porte à l’instantané mais c’est aussi dérouler un tapis rouge pour se faire solliciter à la moindre occasion. Les notifications push, plutôt appelées notifs push, ont des rôles divers mais servent un unique but : nous amener à retourner sur l’application d’où elles proviennent.
C’est pour répondre à ce but que certaines applications s’efforcent de développer leur petit plus pour se différencier des autres. Facebook, WhatsApp ou encore Twitter ont leur propre tonalité qui les rendent reconnaissables avant même qu’on ne jette un œil à son écran. Pour celles et ceux qui utilisent une application de rencontres, la tonalité unique de leur application fétiche pourra alors réveiller l’envie subite de fourrer sa main dans sa poche pour en sortir son smartphone et y lire la notification.
Steven Milton, Sound Designer ayant travaillé sur l’application Tinder, a évoqué avec le journal en ligne Fast Company, représenté par Mark Wilson, les tenants et aboutissants d’une identité sonore. L’identité sonore d’une application est un marqueur, elle permet de se démarquer par rapport à la concurrence et elle aura une résonnance toute particulière à l’esprit de celles et ceux qui l’utilisent.
Il a expliqué dans un premier temps qu’il aura fallu s’intéresser aux mécanismes du cerveau et, plus particulièrement, à l’impact émotionnel qu’un son peut déclencher sur certaines parties du cerveau. Durant son échange avec Mark Wilson, Steven a testé des sons avec lui et Mark a donné un avis sur chacun d’eux : une tonalité évoque forcément quelque chose à la personne qui l’entend. C’est sur ce souvenir sensoriel que joue le design sonore de Tinder.
Quand on se penche sur l’étude de cas de Tinder faite par la compagnie de Steven Milton, Listen, on apprend aussi qu’ils ont identifié les interactions clés, celles qui font tout le sel de l’application, pour l’expérience utilisateur, afin de proposer une sonorité qui sera propre à chacune d’elles. Leur méthodologie de travail exprime à elle seule tout l’intérêt de ce besoin d’identité sonore. Pour Tinder, il est important que les sons qui sont en train d’être créés répondent à trois ensembles de critères : Light hearted and fun, Surprise and delight, Fresh and young. C’est en répondant à ces trois critères qu’on comprend parfaitement le sens de ce travail sonore.
Le design, plus spécifiquement le design d’expérience, se doit de servir les besoins et les attentes des utilisateurs. Le designer en charge de l’expérience utilisateur possède de lourdes responsabilités puisqu’il a le pouvoir d’influencer le comportement des utilisateurs sur un produit. Parfois, ce pouvoir est utilisé pour permettre aux équipes marketing d’arriver à leurs fins. Mais quand le design bascule du côté obscur, cela porte un nom, le « dark pattern ». Harry Brignull, le premier à avoir pointé du doigt ce phénomène en 2010, crée le site darkpatterns.org pour dénoncer les pratiques douteuses utilisées par certaines entreprises pour influencer le comportement de l’utilisateur.
Sur Tinder, par exemple, après chaque match, l’application nous propose de lui envoyer un message directement ou de « continuer à jouer ». Ce n’est pas sans rappeler les codes des sites de e-commerce qui nous proposent, à chaque fois qu’on met un article dans notre panier, de payer directement ou de continuer notre shopping. En adoptant le champ lexical du jeu et des animations du genre, Tinder souhaite nous maintenir sur l’application. De la même manière, lorsqu’on ne s’est pas connectés à l’application depuis longtemps, Tinder nous envoie une notification nous informant du nombre de personnes qui nous ont likées pendant notre absence, pour attiser notre curiosité.
De la même manière, le mécanisme de swipe, que nous retrouvons sur bon nombre d’applications de rencontres, nous présente des personnes à la suite des autres en cachant celles arrivant. Pour découvrir les profils qui se cachent derrière celui qui nous est présenté, l’utilisateur est obligé de swiper. Le swipe et la découverte de nouveaux profils semblant alors illimités, nous éprouvons une grande difficulté à réfréner ce geste qui devient comme un automatisme.
Les dark patterns ont un jumeau qui œuvre pour des causes plus éthiques : les nudges. En s’appuyant sur la psychologie comportementale, les nudges sont des dispositifs visant à modifier légèrement l’environnement de l’utilisateur pour l’inciter, et non le contraindre, à prendre la bonne décision. Ces nudges tendent à guider nos cerveaux à faire des choix plus en accord avec nos intérêts individuels et collectifs. Par exemple, pour prévenir des addictions, les plateformes de rencontres gagneraient à faire plus de prévention auprès de leurs utilisateurs en les notifiant lorsqu’ils ont passé trop de temps à swiper.
L’utilisation d’applications de rencontres provoquent des sentiments anxiogènes chez les utilisateurs. Lorsqu’on tape dans Google « online dating makes me » les premières suggestions sont sans appel : déprimé, triste, moche… En ce sens, les applications de rencontres pourraient s’engager à diffuser plus de messages positifs auprès de leurs utilisateurs.
Tinder et ses sons particuliers mettent en exergue les instants clés que les utilisateurs et utilisatrices retrouveront sur l’application.
Once et son crapaud à couronne joueront sur les rêves de contes de fées. Sentiment d’autant plus appuyé par la proposition unique d’un ou d’une prétendant.e par jour : on ne peut avoir qu’un seul prince charmant ou qu’une seule princesse à sauver dans une vie.
AdopteUnMec et son ton décomplexé appuieront l’idée du supermarché : on y cherche un produit qui nous correspond mais il y en a plusieurs dans un même rayon.
Jouer sur les émotions de celles et ceux qui utilisent leurs produits permet aux marques de se distinguer. À travers une identité, un univers et une tonalité, une plateforme définit sa marque de fabrique et ce qui la rendra unique aux yeux de son public… Ce sentiment d’appartenance, ce lien, c’est une manière de créer une complicité avec ces personnes qui choisissent une plateforme et décident de s’y tenir.
Au cours de nos recherches, notre questionnaire a mis en lumière certains problèmes et certaines peurs des utilisateurs et utilisatrices de plateformes de rencontres. Ce qu’il révèle notamment c’est que pour 21 % des enquêtés, leur plus grande peur vis-à-vis des plateformes de rencontre se trouve être que leur interlocuteur.trice ne soit pas une vraie personne. La peur est on ne peut plus justifiée quand l’anonymat qu’impose les écrans nous invisibilise aux yeux des autres.
Derrière ces faux profils, on croise plusieurs types d’énergumènes :
Les personnes qui cherchent à nous extorquer de l’argent et à nous arnaquer en jouant sur nos affects arrivent en première position et se trouvent être la hantise principale des acteurs du milieu de la rencontre en ligne. Pour Eric Chollet, Affiny (et Meetic par extension) a développé « le plus performant de tous les services Match Group. On a mis en place plein d’outils qui permettent de supprimer directement les scammeurs de la plateforme ». Il cite en exemple la traque d’un faux profil basée sur sa création « en moins de X minutes » grâce à un programme capable d’estimer s’il s’agit d’un scammeur.
Dans la catégorie des faux profils, on tombe aussi sur le cas non moins répandu du Catfishing. Le concept est simple : prétendre que nous sommes quelqu’un d’autre. Pour donner corps à cette fausse identité, ces personnes pourront aller jusqu’à utiliser des photos d’une autre personne. Ne reste plus alors qu’à mettre de la vie dans son personnage en se créant une personnalité, des traits de caractère et, parfois, tout ce qui peut aller avec : une famille, des amis, un travail…
Le saviez-vous… ?
Pour en savoir plus au sujet du catfishing, regardez le documentaire Catfish de Henry Joost et Ariel Schulman réalisé en 2010. Vous y retrouverez l’histoire d’un jeune homme épris d’une inconnue rencontrée sur le net. Il fera des pieds et des mains pour la rencontrer et percer les mystères qui l’entourent.
Le business des plateformes de rencontres a des particularités propres à son domaine puisqu’un client satisfait est un client qui s’en va. Le cœur du business réside dans l’acquisition de nouveaux clients. Il existe deux grandes typologies de plateformes de rencontres : les généralistes et celles qui s’attaquent à des marchés de niche qui vont rassembler une communauté autour d’une origine ethnique, d’une orientation sexuelle, religieuse ou politique. Peu importe le positionnement au lancement de la plateforme, il faut atteindre ce que l’on appelle la « masse critique » d’utilisateurs.
Charles Bail, co-fondateur de l’application Fruitz, nous explique avoir progressivement ouvert l’application à toute la France : « On a d’abord lancé Fruitz uniquement à Paris le temps que la base d’utilisateurs grossisse, tout en faisant du teasing dans les autres villes. » Le succès d’une application de rencontres réside dans sa visibilité et dans sa base d’utilisateurs actifs. Pour Charles Bail, il s’agit véritablement d’une acrobatie d’acquisition : « C’est très risqué, parce que si on lance l’application dans toute la France d’un coup et qu’il n’y a personne sur l’application, les utilisateurs vont s’en aller et il y a très peu de chances qu’ils y reviennent. »
Pour valoriser leur nombre d’utilisateurs et atteindre plus rapidement la masse critique, certaines applications de rencontres n’hésitent pas à y intégrer de faux profils pour donner l’illusion du nombre. Comme nous le rappelle Eric Chollet, Product Owner chez Affiny, « certains sites de rencontres ajoutent artificiellement des faux comptes parce qu’un site de rencontres ne peut exister que s’il y a des gens inscrits dessus. Mais, pour un utilisateur, il n’y a pas de pire expérience qui puisse exister ».
Pour les plus honnêtes d’entre elles, une fois la masse critique atteinte, les plateformes de rencontres doivent constamment essayer d’acquérir de nouveaux utilisateurs, et plus particulièrement des utilisatrices. Selon l’enquête de l’Ined baptisée l’Étude des parcours individuels et conjugaux, il existe une disparité importante entre les sexes : 75 % d’hommes seraient inscrits sur des plateformes de rencontres contre 25 % de femmes. Antoine Géraud, co-fondateur de Abricot, nous explique que « ce déséquilibre très fort crée une expérience d’utilisation très différente. Les femmes sont confrontées à une profusion de profils parmi lesquels il va falloir faire le tri ».
La cible féminine est particulièrement convoitée par les plateformes de rencontres, elles sont plus rares donc les services actuels leur offrent généralement la gratuité pour tenter de les attirer. Pour équilibrer ce ratio, les services de rencontres en ligne font payer principalement les hommes sous forme d’abonnement mensuel. Selon l’Ined, « parmi les personnes ayant fréquenté des sites de rencontres, 45 % des hommes déclarent avoir déjà souscrit un abonnement contre 18 % des femmes ».
Le prix des abonnements varie selon le positionnement de la plateforme. Sur AdopteUnMec ou Meetic, il faudra payer entre 20 et 30 euros par mois. Sur des plateformes haut de gamme, comme Elite Rencontre ou eDarling, les prix s’envolent. Il faudra prévoir un abonnement mensuel allant de 100 à 125 euros par mois. L’abonnement mensuel et les achats intégrés, appelés « Options payantes », sont les principales sources de revenus des services de rencontres.
Les plateformes de dating sont donc constamment à la recherche de nouveaux utilisateurs, et pour les atteindre, elles n’hésitent pas à réaliser de grosses campagnes de publicité. « La plus grande part de dépense pour les applications de dating c’est la communication et la publicité parce que plus tu es connu, plus tu as de la visibilité, plus tu as d’inscriptions », nous rappelle Fred Tourrou.
Les applications de rencontres cherchent tout particulièrement à apparaître dans la presse féminine, comme nous l’indique Judith Duportail dans son livre, L’amour sous Algorithme : « Le coût d’acquisition d’une utilisatrice s’avère bien plus élevé que celui d’un utilisateur pour les applications de dating. En langage marketing, ce terme désigne les dépenses mises en place pour gagner un nouveau client, et les femmes sont plus difficiles à hameçonner. » La visibilité représente une immense part du succès d’une application de rencontres dont la durée de vie dépend du nombres d’utilisateurs inscrits sur la plateforme, du ratio hommes/femmes et de l’activité de ses utilisateurs.
Les plateformes de rencontres vont utiliser plusieurs techniques pour être sûres de faire revenir leurs utilisateurs actifs. Devant la profusion de profils, les utilisateurs seront tentés de revenir sur la plateforme pour y découvrir de nouveaux profils. En jouant sur notre peur de passer à côté d’un profil qu’on n’aurait pas encore découvert, les plateformes de rencontres appuient sur notre Fear Of Missing Out (FOMO) pour nous faire revenir. Nous avons demandé à nos enquêtés les éléments qui peuvent les pousser à revenir régulièrement sur une plateforme de rencontres. Si pour bon nombre d’entre eux les mots qui reviennent le plus sont « l’ennui » ou « la solitude », d’autres nous expliquent y revenir pour « la curiosité des nouvelles rencontres » ou « les discussions avec des personnes qui m’amènent à finalement chercher d’autres profils » grâce à des « notifications de matchs ».
Qu’est-ce que le FOMO ?
Le FOMO, acronyme anglophone pour « Fear Of Missing Out », se traduit en français par la peur d’être dépassé, de manquer un événement ou un fait important. Ce sentiment s’exprime dans nos relations sociales et de manière particulièrement conséquente depuis l’arrivée des réseaux sociaux. Les notifications de nos téléphones nous habituent à être toujours attentifs à ce qu’il se passe et cette situation de vigilance constante devient un réel mode de vie. Il nous est presque impossible de décrocher de notre téléphone pendant plus d’une heure sans craindre de passer à côté d’un message ou d’une nouvelle importante. Dès que l’on perd contact avec le monde digital, ce phénomène appelé FOMO fait son effet.
Les notifications envoyées aux utilisateurs les préviennent d’un nouveau match ou d’un nouveau message reçu sans en préciser le contenu, bien sûr. La tentation d’ouvrir cette notification pour aller voir de quoi il en retourne est bien trop forte. Puis, une fois l’application ouverte, l’utilisateur en profite pour faire tout un tas d’autres actions différentes, comme nous l’explique l’un de nos enquêtés : « Je retourne sur une application de rencontres pour voir les messages reçus et puis trouver de nouvelles personnes, ça devient comme un jeu… »
Les applications usent du principe de gamification pour que l’utilisateur s’amuse en rencontrant de nouvelles personnes. Or, la plupart de ces fonctionnalités sont payantes. Fred Tourrou nous rappelle que « le pricing c’est le nerf de la guerre, puisque les applications de rencontres ne vivent que là-dessus ». Ce qu’il appelle Pricing, ce sont les options payantes que l’on peut trouver à l’intérieur d’une application. Ce modèle s’appelle le Freemium, c’est-à-dire une application gratuite au téléchargement et dans une certaine mesure d’utilisation, mais qui comportera des achats intégrés pour débloquer certaines fonctionnalités.
Ces options payantes sont prises très au sérieux par les fondateurs d’applications de rencontres puisque sans publicité dans l’application, sans système d’abonnement, ça sera sa seule source de revenus. Fred Tourrou nous expliquait procéder à énormément de recherches pour trouver la meilleure façon de présenter ces options payantes à l’utilisateur : « Souvent, on fait un AB test pour voir lequel a le plus grand taux de transformation. On peut faire 10, 20, 50 pages différentes de pricing, avec des boutons différents, des couleurs différentes… » Fred Tourrou réalise tout ce travail pour vérifier quelle mise en page aura le plus de succès auprès des utilisateurs et provoquera le plus d’achat.
Une part du revenu des applications appartient à une frange plus sombre : celle de la collecte et la revente de certaines données utilisateurs à des fins publicitaires ou marketing. Fred Tourrou évoque avec nous que « dans les applications de rencontres, il faut partir du principe que si on ne paye pas ou s’il n’y a pas de publicités, c’est que nous sommes le produit ».
En étudiant la politique de confidentialité de Tinder, dans la catégorie Comment nous partageons les informations, on peut y lire :
« Nous pouvons également partager ces informations avec d’autres entreprises de Match Group et des tiers (notamment les publicitaires) afin d’élaborer et de présenter des publicités ciblées sur notre service et sur les sites Web ou applications de tiers et d’effectuer des analyses et des rapports sur les publicités que vous voyez. »
Au départ, nos données personnelles étaient utilisées par les entreprises sous couvert d’améliorer leur service existant. L’universitaire Shoshana Zuboff explique dans l’article Capitalisme de surveillance que cet usage a bien changé : « Il s’agit désormais de lire dans les pensées des utilisateurs afin de faire correspondre des publicités avec leurs intérêts. Lesquels seront déduits des traces collatérales de leur comportement en ligne. La collecte de nouveaux jeux de données appelés “profil utilisateur” (de l’anglais user profile information) va considérablement améliorer la précision de ces prédictions. » Pour elle, l’ensemble de l’économie des plateformes repose sur l’exploitation de nos données personnelles pour nous vendre des produits les plus adaptés possibles à nos envies ou pour les revendre à des tiers.
Par exemple, le site usdate.org propose d’acheter des listes de profils issues de sites de rencontres. Nous pouvons choisir des profils selon le sexe, l’ethnie, le niveau d’études, la religion, le type de silhouette, ou encore choisir si nous voulons que les profils soient accompagnés de leurs photos ou non. Nous avons fait le test : si nous voulons acheter 44 300 profils accompagnés de 1 222 000 photos de profils masculins et féminins venant du Royaume-Uni uniquement, cela nous coûterait 133 $.
Judith Duportail, dans son livre L’amour sous Algorithme, a demandé au siège de Tinder qu’on lui envoie la totalité de ses informations personnelles détenues par l’application. Elle a reçu un document de 802 pages comportant toutes les données qu’elle avait communiqué à Tinder et toutes ses interactions avec l’application. Depuis de la réception de ce document, Judith Duportail regarde son téléphone d’un œil différent à la vue du nombre d’applications auxquelles elle est inscrite. Elle s’interroge : « Ont-elles toutes 800 pages sur moi ? Mon téléphone m’apparaît comme n’étant plus qu’un immense mouchard. Si toutes ces informations collectées sur moi avaient une matérialité physique, je ne pourrais plus le soulever. »
Les leaders de la rencontre en ligne sur le marché francophone ont éprouvé un certain nombre de mécanismes qui ont su susciter l’adhésion des utilisateurs. Ces principes pouvant provoquer une certaine addiction chez les utilisateurs sont avant tout psychologiques. Natasha Dow Schull, anthropologue à l’université de New York et auteur du livre Addiction by design, s’est intéressée à comment les réseaux sociaux et les applications de rencontres ont réussi à nous donner sans cesse l’envie d’y revenir. Pour elle, « un des mécanismes psychologiques les plus puissants de l’addiction est celui de la récompense aléatoire et variable ».
Cette technique de jeu, empruntée au casino, on la retrouve sur plusieurs applications. Charles Bail, co-fondateur de l’application Fruitz, nous a expliqué avoir appliqué ce principe. Sur son application, les utilisateurs indiquent ce qu’ils recherchent à l’aide d’un fruit représentatif d’un type de rencontre. On choisira, par exemple, la pastèque pour signifier que nous recherchons « des câlins récurrents sans pépins ».
Les femmes peuvent voir le fruit des profils masculins, les hommes peuvent voir le fruit de 3 profils féminins gratuitement et au-delà, ils devront payer. Charles Bail nous explique que « c’est une technique de casino qui s’appelle le Pay to See. Comme quand on joue à la machine à sous, on n’a aucun impact sur le résultat mais on a très envie de le voir donc on va appuyer sur le bouton. C’est ce qui est génial et addictif, c’est pour ça que les gens jouent aux machines à sous ».
Nous sommes tous plus ou moins sensibles au regard que les autres vont porter sur nous. Nous recherchons la validation de nos choix et de notre apparence par nos pairs. Cette validation a été exacerbée par l’arrivée des réseaux sociaux sur lesquels nous mettons en scène nos vies en cherchant à récolter cette approbation des autres. Nous sommes de plus en plus exposés à la critique puisque, derrière un écran, les langues se délient et nous nous autorisons des remarques que l’on n’aurait jamais osé proférer si la personne avait été devant nous.
De plus en plus de services jouent sur l’évaluation mutuelle. Sur Uber, par exemple, le chauffeur note le client sur une échelle de 1 à 5 et inversement. Les applications de rencontres ne sont pas exemptes de cette tendance à la notation. Sur Fruitz, les utilisateurs obtiennent des badges lorsqu’ils se sont bien comportés avec un autre membre de l’application. Charles Bail nous raconte que « grâce à ce système de badges, tu ne peux jamais avoir de score négatif. Tu ne peux que progresser. On te tend un miroir qui est un peu déformé parce que tu ne peux y voir que du bien ».
L’application Once joue également sur ce système de double évaluation. Le principe de Once est de prendre le contre-pied de Tinder en proposant de rencontrer un seul profil par jour. Nous avons interrogé Fred Tourrou, Product Designer pour Once, sur la fonctionnalité la plus plébiscitée par les utilisateurs. Pour lui, « ça serait la partie Rating. On a eu des retours utilisateurs très positifs sur cette partie car ça permet de mieux connaître les goûts des utilisateurs et de leur présenter un match qui leur correspond ».
Sur l’application, chaque utilisateur peut noter des photos d’utilisateurs qui sont anonymisées, sur une échelle de 1 à 5. L’application, en utilisant le machine learning, nous demande de noter un certain nombre de visages anonymes pour connaître de façon plus précise nos goûts esthétiques. Dans notre profil, nous pouvons découvrir, en payant, le score que les autres utilisateurs ont attribué à nos photos en obtenant notre moyenne sur 5.
En débloquant notre note, l’application précise ensuite que « ce score ne reflète pas votre attractivité réelle mais la façon dont vos photos sont perçues ». Sur Once, la notation ne s’arrête pas uniquement à la photo. À l’image d’Airbnb, à la suite d’un rendez-vous avec un utilisateur, nous pouvons également noter celui-ci sur une échelle de 1 à 5.
L’algorithme de matching des plateformes de rencontres, c’est un peu comme les recettes secrètes de nos grands-mères : impénétrables mais rudement efficaces. L’algorithme est une suite mathématique qui, par pondération de critères, permettra de mettre en relation deux profils considérés comme compatibles parce qu’ils ont répondu à une série de critères préalablement établis.
Sur certaines plateformes de rencontres, l’algorithme servira comme premier outil de tri pour aider l’humain derrière la machine –appelé matchmaker– à mettre en relation deux personnes. Chez Abricot, Antoine Géraud, son co-fondateur, nous révèle que « l’algorithme nous aide à faire de bons choix mais à la fin c’est toujours l’humain qui a le dernier mot. Notre objectif, c’est de pousser vers le réel ».
Abricot fait office d’ovni dans le tableau des plateformes de rencontres, ils sont les seuls à avoir gardé un humain avec l’algorithme. Sur d’autres applications de rencontres comme Fruitz, l’algorithme est basé sur des critères précis. Comme nous l’explique Charles Bail, « on va proposer des profils à l’utilisateur en fonction de la géolocalisation, des critères qu’il a renseigné comme son âge, la distance et la dernière fois que la personne s’est connectée ».
Sur Tinder, c’est encore une autre histoire.
Judith Duportail, dans son livre L’amour sous Algorithme, a réussi à décrypter le fonctionnement opaque de l’algorithme de matching de l’application en mettant la main sur le brevet déposé par Tinder et accessible en ligne. Dans ce document appelé Matching Process System and Method, les auteurs montrent l’importance de la mise en place d’un algorithme de matching sur une application de rencontres et en expliquent les raisons.
Non seulement, l’algorithme va analyser notre score de désirabilité, notre niveau d’études et nos centres d’intérêts, mais les auteurs de ce brevet ont également remarqué que, en matière d’amour, nous étions très attachés aux symboles et que nous avions une certaine croyance en la destinée. Dans le brevet, on peut lire : « Le serveur peut être configuré pour rechercher des similitudes d’intérêts, de lieu de naissance, de date de naissance, de mois de naissance, d’université, de prénom, de nom de famille, de responsabilités parentales et de mots clés pour identifier les utilisateurs qui pourraient partager l’impression qu’ils sont faits pour être ensemble. »
Une fois ces similitudes détectées, l’algorithme va laisser les utilisateurs découvrir ces points communs et ainsi lui faire croire à une sorte de destin qui aurait mené jusqu’à cette rencontre. Robert Neuburger, thérapiste et spécialiste du couple, parle dans un article d’un Mythe de destin au sein de chaque couple. Si nous avons tous besoin de croyances romantiques sur la formation de notre couple, le Cupidon 2.0 ne serait donc rien de plus qu’une suite mathématique nous faisant croire au hasard.
Ces mastodontes de la rencontre amoureuse écrasent la concurrence par le poids de leur renommée. Et pourtant, ils sont nombreux à essayer de se faire une place aux côtés des leaders du marché en proposant des unique value propositions ou, en français, des propositions de valeurs différenciantes. Pour tenter de les concurrencer, certaines applications de rencontres prennent le contre-pied et proposent peu d’utilisateurs à la fois.
Charles Bail nous explique que pour se faire une place, il faut « prendre des tendances inverses, à contre-courant. Comme Once qui surfe sur la tendance du slow dating ». En faisant le choix de proposer un seul profil par jour, Once fait un pied-de-nez à Tinder et à ses profils quasi-illimités. Une stratégie payante pour se démarquer puisque Once comptabilise pas moins de 900 000 utilisateurs rien qu’en France.
D’autres applications jouent sur des approches différentes pour que deux personnes aient envie de se connaître. Comme l’application Hater, dont le concept est de réunir deux personnes sur la base de ce qu’ils détestent. L’idée de cette application nous vient de Brendan Alper qui a constaté que les gens étaient très enclins à se rassembler autour de sujets qu’ils n’aimaient pas. Afin d’établir son profil, l’application nous propose plusieurs sujets. À nous de dire si on adore, en glissant notre doigt vers le haut de notre écran ou si on n’aime pas en le glissant vers le bas. Pour l’instant, l’application Hater compte plus de 2 000 sujets à détester, de Donald Trump au sans gluten et du guacamole au camping.
Le business du dating peut également s’avérer propice à des campagnes de communication. Axe, la marque de déodorant pour hommes, a sorti une nouvelle application de rencontres pour fêter la sortie de son déodorant Cuir & Cookies, un mélange de deux fragrances a priori incompatibles : Collision. Elle va à l’inverse des applications actuelles qui cherchent des points communs entre les utilisateurs et qui perpétuent le vieux dicton « Qui se ressemble s’assemble ». Collision a décidé de défendre le dicton inverse : « Les opposés s’attirent ». Pour créer un match entre deux personnes, chaque utilisateur répond à 3 questions. Si l’incompatibilité est flagrante, que l’un répond Pain au chocolat et l’autre Chocolatine, la conversation peut alors commencer. Collision, à l’image de sa baseline, mise sur des rencontres inattendues.
Dans une interview adressée à Business Insider, Sean Rad, l’un des fondateurs de Tinder, raconte comment l’idée du service lui est venue : il prenait un café avec des amis quand une jeune femme lui a souri. Il décrit comment ce sourire lui a fait comprendre que cette fille était intéressée. Cette certitude a rassuré celui qui se décrit comme très timide. Sean Rad s’est alors mis en tête de trouver un moyen de créer un service avec un consentement en deux étapes. Son objectif était de garantir à deux individus, timides comme lui, leur intérêt mutuel avant de leur permettre de communiquer. Avec Tinder, Sean Rad a réussi l’impensable : supprimer la peur du râteau.
En 2018, Tinder a généré 800 millions de dollars de chiffre d’affaires, soit deux fois plus que l’année précédente. La principale source de revenu de Tinder réside dans les abonnements premium qui permettent, entre autre, de gagner en visibilité en étant boosté. Tinder est très populaire en France. L’app est résente dans 196 pays et la France se situe à la quatrième place. Chaque jour, 45 millions de swipes sont réalisés en France.
La même année, Tinder annonce un partenariat avec Spotify grâce auquel les utilisateurs peuvent afficher leur musique préférée du moment. Pour Sean Rad, nos goûts révèlent beaucoup de notre personnalité. Il souhaite offrir un moyen supplémentaire à ses utilisateurs de briser la glace par message. Il affiche clairement son objectif : « Nous avons déjà révolutionné la manière dont les gens se rencontrent, maintenant nous voulons révolutionner la manière dont ils font connaissance et tissent des liens. »
L’entreprise Meetic n’est pourtant pas en reste, puisqu’elle a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 115,5 millions d’euros en 2017 et est valorisée à plus de 440 millions d’euros en bourse. Meetic a également décidé de rejoindre la tendance du slow dating en lançant un nouveau service de dating baptisé Affiny.
En réalité, Affiny a été créé quelques années après Meetic et s’appelait Meetic Affinity. C’est dernièrement que le géant de la rencontre française a décidé de donner un coup de jeune à ce service laissé à l’abandon en le rebaptisant Affiny. Eric Chollet, Product Owner d’Affiny nous explique le constat de son service : « Ce ne sont pas forcément avec les personnes qui ont les mêmes goûts et qui sont similaires que tu vas vivre une grande histoire d’amour. »
Meetic souhaite également développer une partie accompagnement pour ses utilisateurs à la recherche de l’amour. Meetic a mis en place récemment un système de coaching pour aider les utilisateurs à prendre leurs marques et leur donner des conseils en matière de séduction. Ce coach est un robot conversationnel qui se prénomme Lara. Lara est utilisé par plus 300 000 utilisateurs chaque mois et est accessible sur Meetic et sur Facebook Messenger. Lara est également disponible sur l’assistant vocal de Google : Google Home. L’utilisateur peut discuter avec Lara qui lui donnera des conseils amoureux et « à terme Lara pourra proposer des conseils sur le lieu du rendez-vous en parlant aux utilisateurs » nous déclare Eric Chollet. « Lara pourrait se lancer dans le machine learning en demandant à l’utilisateur, après le rendez-vous, ce qui s’est bien passé et ce qui ne s’est pas bien passé, ça permettrait d’améliorer le rôle du coach dans ses autres interactions. » L’objectif de Meetic est donc d’apporter plus de conversationnel à la rencontre et plus d’accompagnement pour leurs utilisateurs à la recherche de l’amour.
Nos données personnelles sont utilisées des centaines de fois par jour, sans même que nous nous en rendions compte. Tinder évalue nos photos et nos messages pour nous proposer des profils ciblés, LinkedIn étudie nos données pour nous donner accès à certaines offres d’emploi. Les réseaux sociaux étudient nos clics et nos mentions « j’aime » pour afficher des publicités ciblées. La liste des services analysant notre comportement sur Internet est longue et va devenir de plus en plus précise.
Paul-Olivier Dehaye est un mathématicien spécialiste en protection des données. Il milite pour redonner aux citoyens un contrôle de leurs données. Il a également été une source clé auprès du journal britannique The Guardian pour révéler la technique de micro-targeting politique utilisée par les équipes de Trump par le biais de la société Cambridge Analytica.
Sur son site, depuis fermé au public, Cambridge Analytica se présente comme une société utilisant les datas pour changer le comportement du public. Lors des élections américaines de 2016, la société Cambridge Analytica a mis au point un questionnaire en ligne, intitulé « This is my digital life », auquel 300 000 américains ont répondu. Pour y répondre, l’utilisateur était amené à se connecter avec son compte Facebook. Ce que l’utilisateur ne savait pas, c’est que les conditions générales d’utilisation stipulaient que non seulement la société Cambridge Analytica récupérait les données Facebook de l’utilisateur, mais également celles de ses amis. Si on considère qu’une personne sur Facebook a environ 300 amis, Cambridge Analytica aurait donc eu accès aux données Facebook de 50 millions d’américains. Un ancien employé, Christopher Wylie, occupait le poste de Chef des opérations psychologiques chez Cambridge Analytica. Il était chargé de changer l’esprit des gens, non pas par la persuasion mais par la « domination informationnelle », un ensemble de techniques qui inclut la rumeur, la désinformation et les fausses nouvelles. Paul-Olivier Dehaye raconte que la firme ne cherchait pas à convaincre avec le placement de publicités dans le fil d’actualité Facebook mais « encourageait la viralité de certains contenus pour nous montrer une image biaisée de ce dont nos amis discutaient et de ce qu’ils pensaient et ainsi influencer subrepticement l’opinion ».
Les applications de dating ont, elles aussi, le pouvoir d’influencer nos décisions en matière d’amour mais également concernant nos comportements amoureux. Une fois nos données personnelles récoltées, qu’en font-elles ? Certains les vendent à des sites tiers et d’autres les analysent pour dresser un profil psychologique et ainsi décider avec qui nous allons être compatibles.
Michel Kosinski, professeur à l’université de Stanford et auteur d’études sur le ciblage psychologique, a notamment rédigé un article expliquant comment une intelligence artificielle peut déduire la personnalité d’une personne et son comportement à partir de certaines données numériques et, surtout, réussir à le faire mieux que n’importe quel humain. Pour lui, « le fait que les ordinateurs surpassent les humains dans le jugement et la prédiction de personnalités humaines présente de sérieux challenges tout comme d’immenses opportunités dans le domaine de la psychologie, du marketing et de la vie privée. » Il a réalisé une expérience sur 86 200 volontaires. À partir de leurs likes sur Facebook, l’intelligence artificielle qu’il a développé a été capable de détecter l’orientation sexuelle de l’utilisateur à 88 %, l’origine ethnique à 95 % et les convictions politiques à 85 %.
Michel Kosinski n’est pas le seul. L’université de Cambridge a elle-aussi développé une intelligence artificielle pour analyser notre profil psychologique à partir de nos likes Facebook. Le programme s’intitule « Apply Magic Sauce ». Nous l’avons testé avec nos données Facebook personnelles. Il leur suffit d’analyser 70 de nos likes sur Facebook pour déterminer que l’on vote « fort probablement » à gauche parce qu’on a aimé les pages True Blood, Mad Men et Jack Johnson, et que, statistiquement, les personnes qui likent ces pages votent à gauche. À partir de 70 likes, l’intelligence artificielle a également réussi à tracer notre profil psychologique s’approchant grandement de la réalité.
Les services en ligne et notamment les plateformes de dating ne se limitent pas à l’analyse de nos interactions en ligne, les photos que nous partageons sont également passées au crible. Les métadonnées sont les données embarquées dans chaque photo. À partir d’une API, il est possible non seulement de déterminer notre identité mais également notre expression sur la photo, les objets présents en arrière-plan et sur quel site elle est utilisée. Nous avons fait le test avec l’API de Google qui permet de détecter avec une grande précision le sexe de la personne, ce qu’elle porte et l’expression sur son visage. Ces systèmes fonctionnent avec du machine learning, c’est-à-dire que plus ils seront entraînés à analyser des images, plus ils deviendront performants.
Tinder utilise déjà un outil de reconnaissance visuelle : celui d’Amazon appelé Rekognition, pour identifier les centres d’intérêt de ses utilisateurs. Les équipes de Tinder se sont rendues compte qu’il ne suffisait pas d’analyser les textes présents dans la biographie des utilisateurs car certains ne les remplissent pas. L’intelligence artificielle va analyser l’arrière-plan de chaque image. Si elle reconnaît une montagne par exemple, elle va conclure que vous aimez la randonnée et le grand air et vous proposera le profil de quelqu’un apparaissant avec un sac à dos dans une forêt.
Les systèmes d’analyse de données sont de plus en plus performants et seront capables, demain, de dresser des profils psychologiques de plus en plus précis. Ces systèmes seront probablement de plus en plus utilisés par les magnats des plateformes de rencontres pour nous proposer des profils compatibles avec une marge d’erreur de moins en moins importante. L’alchimie entre deux personnes est difficilement prévisible et dépend d’un nombre incalculable de facteurs. L’amour pourrait-il devenir prévisible et mathématique ?
Nous avons demandé aux différents acteurs du milieu de l’amour en ligne que nous avons interviewé de dresser des prédictions sur le futur des plateformes de rencontres. Antoine Géraud, co-fondateur d’Abricot, est « intimement convaincu que d’ici cinquante ans, toutes les rencontres se feront par Internet ». En effet, il y a fort à penser que les applications de rencontres vont occuper une place de plus en plus importante dans nos relations amoureuses. Depuis plusieurs années, le pourcentage de couples s’étant rencontrés sur des plateformes de rencontres n’a cessé d’augmenter. Selon l’enquête de l’Ined, intitulé Étude des parcours individuels et conjugaux, 10 % des couples se sont formés grâce à des plateformes de rencontres.
En France, il existe pas moins de 2 000 plateformes de rencontres différentes. Pour beaucoup, elles sont généralistes, c’est-à-dire qu’elles s’adressent à tous les publics.
Fred Tourrou croit à la multiplication des sites de rencontres par communauté. Nous sommes trop nombreux sur des applications de rencontres généralistes à chercher des choses bien différentes, tout le monde ne peut pas y trouver son bonheur. Pour lui, « il va y avoir une segmentarisation des applications, ça ne peut pas être autrement ».
Charles Bail croit au développement de la gamification sur les sites de rencontres et à l’implémentation de mécanismes de jeu. C’est une technique qu’il a déjà éprouvé sur Fruitz, application dont il est le co-fondateur. Il part du principe que la majorité des personnes présentes sur les plateformes de rencontres cherchent avant tout à booster leur ego alors adopter des techniques de jeu ne peut que détendre les utilisateurs.
Nous avons posé la même question à nos enquêtés, eux-mêmes utilisateurs de plateformes de rencontres. La majorité d’entre eux leur prédisent un futur certain accompagné d’innovations technologiques en tout genre. Charlotte s’est prêtée au jeu et imagine un futur où « on verra une personne en hologramme et d’ailleurs peut-être qu’on ne se verra plus que via des écrans ».
Charlotte n’est pas la seule à penser que certaines technologies émergentes vont être appliquées à la recherche de l’amour en ligne. Pour l’un de nos enquêtés, le futur des applications de rencontres sera : « De la réalité virtuelle, des photos 3D ou même des sensations olfactives. Histoire que la drague soit palpable. » Et d’autres n’hésitent pas à imaginer le pire : « Une application supervisée par l’État reliant les gens sans même leur consentement, et selon leur ADN pour favoriser une évolution soit-disant positive de la race humaine. Pour tout le reste (l’amour, le sexe débridé, la tendresse…) nous aurons des robots, très ressemblants, commandés sur Amazon, remboursables sur 30 ans. »
De nombreuses évolutions liées à des innovations peuvent être imaginées, mais pour Charles Bail, « une fonctionnalité sur une application c’est une numérisation d’une interaction humaine ». En soit, toutes les technologies qui nous permettent d’interagir pourraient être, un jour, implémentées dans une plateforme de rencontres.
Pour Charles Bail, les dérives potentielles pour lesquelles il faudra apporter la plus grande vigilance résident dans des standards de beauté érigés à cause de photographies toujours plus retouchées. Pour lui, « ça pourrait aller encore plus loin dans la création d’un idéal et ça peut être hyper dangereux parce que ça fixe des standards qui sont inatteignables ».
Une chose est sûre, les technologies émergentes comme celles qui modifient notre réalité partiellement (réalité augmentée) ou complètement (réalité virtuelle) ne sont que des outils et non des buts en soi. Les innovations technologiques sont des moyens, non pas des finalités, elles sont utiles si elles servent un besoin et c’est à la responsabilité de chacun, utilisateurs comme dirigeants, de les utiliser en bonne intelligence.
Les algorithmes prédictifs jouent sur le mythe de l’âme soeur qui consiste à croire que, quelque part, dans le monde, se cache notre moitié. À terme, les algorithmes des plateformes de rencontres pourraient promettre de la trouver pour nous, sans que nous ayons à la chercher. L’un de nos enquêtés nous a répondu croire que, « plus tard, des algorithmes très puissants vont provoquer des rencontres dans la vraie vie sans qu’on s’y attende ».
Si cela semble faire fantasmer certains, d’autres s’en inquiètent, comme Laurence, 55 ans, qui déplore le fait qu’il « n’y aura même plus de hasard ». Charlotte, elle, semble se plaire à croire que, plus tard, « on aura peut-être quelqu’un de prédéfini avec qui finir nos jours ».
C’est sur ce scénario que la série Black Mirror a réalisé l’un de ses épisodes intitulé Hang the DJ. Les épisodes de cette série mettent tous en scène une technologie dystopique. Cette série, en français « miroir noir », fait référence aux écrans omniprésents qui nous renvoient notre reflet. Dans Hang the DJ, les scénaristes dépeignent un futur proche dans lequel les nouvelles technologies pourraient avoir des conséquences inattendues sur nos manières de rencontrer l’amour. Dans cette histoire, le monde est régi par un « système » et toutes les personnes en quête de leur partenaire idéal vivent derrière un grand mur. Leur « partenaire ultime » doit leur être présenté par ce fameux système au bout d’un certain nombre de relations.
La machine qui est une sorte d’intelligence artificielle basée sur un algorithme prédictif puissant va tester à la vitesse de la lumière des milliards de possibilités de relations entre une personne A et une personne B et déterminer combien de pourcentage de chances ils ont d’être heureux ensemble. Tout au long de cette histoire, on suit Frank et Amy qui vont se rencontrer une première fois, s’apprécier, puis se séparer puisque le système établit à chaque relation une date de péremption à laquelle les protagonistes ont accès et qu’ils doivent respecter. Une condamnation à vivre l’enfer pendant des semaines quand il n’y a pas d’alchimie ou un crève-cœur quand l’étincelle est là mais qu’il faut déjà se quitter parce que le système l’a déclaré. Cette histoire nous plonge dans une grande interrogation : comment vivrions-nous nos relations amoureuses si l’on connaissait à l’avance la date de péremption de notre histoire ?
Nous sommes tous à la recherche de la personne qui va faire chavirer notre coeur. Est-elle sur un site de rencontres, ailleurs ? Si une plateforme de rencontres vous promettait de vous la présenter, accepteriez-vous ?
Les plateformes de rencontres ont exacerbé la sensation que l’on peut toujours trouver mieux. Elles ont réveillé notre peur de toujours manquer une opportunité. Est-ce que la technologie qui nous offre tellement de possibilités et nous en offrira encore plus demain va continuer à conditionner notre recherche de l’amour ? En tout cas, une chose est sûre, les sentiments assistés par ordinateur ont encore un bel avenir devant eux.
Réalisé sous la supervision de Thiago Máximo et Julien Vey dans le cadre du développement d'un mémoire d'étude sur l'expérience utilisateur. Mémoire appuyé de la participation experte de Brenda Boukris, d'Antoine Géraud d’Abricot, d’Éric Chollet d’Affiny, de Fred “Beasty” Tourrou de Once et de Charles Bail de Fruitz.